Agnes a repéré la maison de ses rêves et l’agence, qu’elle a déjà harcelé à de multiples reprises, semble sérieuse, une très bonne nouvelle pour la comédienne qui a déjà eu affaire à quelques déconvenues au moment des visites. Plomberies mal installées, peintures défraichies et humidité, Agnes a besoin d’un endroit ou vivre très rapidement et sans travaux qui pourraient s’éterniser. Logée par sa mère depuis près d’une semaine depuis son retour de Londres, la situation devient urgente. C’est un investissement, Agnes ne pourrait le nier, mais la rousse ne reviendra pas sur sa décision, il est temps pour elle de devenir propriétaire et ne plus subir les aléas des colocations et des propriétaires véreux qu’elle a pu endurer par le passé. Sa carrière est bien installée et c’est le moment ou jamais pour s’installer sur Manhattan, seule, sans se reposer sur le salaire d’une autre personne dont l’hygiene pourrait laisser à désirer. Elle a donc pris rendez-vous pour une visite qu’elle attend avec impatience. Un regard discret à sa montre, Agnes attend en bas de l’immeuble en se demandant si l’agent chargé de la visite n’a pas tout simplement oublié son existence. Agnes n’aime pas attendre, et les modestes cinq minutes qui s’écoulent lui paraissent durer des heures. Lorsqu’elle voit Mr Goode arriver avec son trousseau de clé, elle ne retient pas son soulagement et s’avance d’un air avenant.

- Bonjouuuur ! Je suis Agnes Gallagher, pour la visite, Monsieur Goode, c’est cela ? J’espère que le trajet n’était pas trop compliqué pour vous, il y avait des embouteillages dans le quartier. C’est ce qui vous a retardé j’imagine, mais ce n’est pas grave, montrez moi plutôt ce que vous avez, croyez moi si vous deviez cohabiter avec Anne Gallagher vous chercheriez une maison tout aussi rapidement que moi…

Agnes parle vite avec de grand geste, l’assomme sans doute de détails dont il n’a pas vraiment besoin, mais la rousse ne peut contenir ni son énergie, ni son excitation. Quand elle entre, elle est déjà rassurée de voir qu’il ne s’agit pas d’une ruine.

- On commence la visite ?

Agnes a très hâte d’en voir plus et de tester l’isolation aussi, il est important pour elle de s’assurer que son emménagement ne sera pas un problème pour les voisins. Agnes exerce sa voix tous les jours et dans toutes les pièces de la maison sans discrimination aucune.

Jun a l’impression qu’il ne peut pas respirer dans ce costard. Premièrement : il a toujours détesté devoir s’habiller de cette façon mais il n’a pas trop le choix étant donné son travail et deuxièmement : il est surtout extrêmement stressé pour cette visite à venir. Du haut de ses vingt-trois ans et avec son diplôme tout juste en poche, voilà qu’il a réussi à décrocher un travail chez la prestigieuse entreprise Burr & King. Il sait qu’il doit faire ses preuves et montrer de quoi il est capable, lui qui a simplement été pistonné par papa et maman. Il n’a donc pas le droit à l’erreur.
C’est pourtant avec cinq minutes de retard qu’il arrive devant la fameuse adresse, merci les bouchons à NYC et son taxi qui n’avait visiblement pas envie de passer la cinquième. Il n’a même pas le temps de reprendre son souffle (et il en a bien besoin) que sa cliente du jour se présente à lui directement. Il s’est lui-même renseigné sur elle avant cette visite, comme il le fait avec toutes les personnes faisant appel à l’agence et pouvant potentiellement déclencher une grosse vente. Être propriétaire à New-York n’est pas donné à tout le monde après tout.
« Bonjour Mme Gallagher, ravie de mettre enfin un visage sur votre nom. En effet, le quartier est pas mal embouteillé dans ces heures-là et je m’excuse pour le retard. Pour autant, vous allez voir, cela reste relativement calme par ici. Le voisinage n’est pas bruyant du tout. » dit-il en souriant de toutes ses dents. Jun a la chance d’avoir l’air naturellement sympathique mais il sait qu’il doit toujours en rajouter une couche avec les clients. Il en profite pour tout de même mettre en valeur le quartier, il faut bien qu’il commence quelque part.
Jun ouvre alors la porte et laisse entrer la cliente en premier. Généralement, tout se passe dans les premières secondes pour une vente réussie ou non. Les clients ont beau avoir une liste de critère longue comme le bras, beaucoup fonctionnent au coup de cœur.
« Comme vous pouvez le constater, l’entrée est plutôt spacieuse et dotée de plusieurs rangements. » annonce-t-il tout en montrant à Agnes les différentes fonctionnalités. « Et cela donne directement sur le salon. Je vous rassure, l’ancien propriétaire va récupérer ses meubles dans la semaine donc les arbres à chat vont disparaître… Vous avez des animaux, d’ailleurs ? »
Jun sait qu’avoir les meubles de l’ancien propriétaire peut soit aider à la projection, soit pas du tout. A son humble avis, ce dernier avait un certain goût mais ce n’est pas à lui de juger aujourd’hui.

Agnes hoche la tête quand on lui annonce que le voisinage n’est pas bruyant du tout. Well, c’est quelque chose qui pourrait changer avec son arrivée dans le quartier pour sur... La comédienne choisit de devenir propriétaire pour profiter d’un peu plus d’indépendance par rapport aux voisins justement. Elle se souvient parfaitement des messages agressifs d’une de ses anciennes voisines qui faisait beaucoup de visio conferences et qui ne pouvait pas supporter vingt cinq minutes d’exercices vocaux vigoureux sans se mettre à l’insulter chaudement. Agnes de son côté s’estime respectueuse et réserve des salles pour les pratiques plus longues, mais si elle investit, ce n’est pas pour se retrouver une nouvelle fois l’esclave de son voisinage. La rousse souhaite pouvoir travailler son instrument et préparer ses auditions en toute tranquillité. Si la voisine d’à côté est à moitié sourde, c’est définitivement un point bonus !

- Oh, tout ce qui compte pour moi c’est l’isolation, si celle-ci est suffisamment bonne, le bruit extérieur ne sera pas dérangeant. Et pour être tout à fait honnête avec vous, si la voisine est un peu sourde, ça pourrait m’arranger...

Agnes accompagne sa plaisanterie d’un petit rire avant d’expliciter la situation en donnant beaucoup trop d’information comme d’habitude.

- Voyez-vous, je suis comédienne sur Broadway, j’ai des auditions à préparer, des morceaux à répéter parfois tous les jours, des amis qui chantent eux aussi. Je ne veux pas passer ma vie à réserver des salles de répétitions ici et là, alors que je vis à quelques pas des théâtres et de mon travail. Je suis soprano et je chante donc fort et aigu, je suis bien consciente que ça peut déranger les gens, mais c’est pour cette raison que je n’achète pas un appartement !

Agnes se rend compte qu’elle ne dresse pas forcément le meilleur portrait de la profession, et l’idée ce n’est pas non plus que cette maison qui lui a tapé dans l’œil ne lui file sous le nez.

- Par la j’entends quelques vocalises à des heures décentes bien sûr, je n’organise pas de grosses soirées où tout le monde hurle à des heures indues. Comme vous vous en doutez, quand je finis le travail à 22h, j’ai surtout envie d’aller me coucher…

Les yeux d’Agnes balaient les grands espaces, s’accrochant parfois aux meubles des anciens propriétaires et la decoration qu’elle projette de refaire intégralement, ainsi que les peintures. La maison semble salubre et elle ne voit rien de suspicieux. L’agence lui a été recommandée par une de ses amies comédienne, mais elle se permet toutefois de prendre quelques photos des installations.

- J’ai deux chats oui… Vous savez pourquoi les anciens propriétaires décident de vendre ?

Une question qu’elle se sent obligée de poser même si rien n’empêche ce jeune homme de lui raconter sa propre version des faits. Agnes flaire facilement les menteurs qui lui disent ce qu’elle souhaite entendre puisqu’elle a probablement passé dix années de sa vie à sortir avec eux.

@Jun Goode

Jun hoche la tête lorsque sa cliente mentionne qu’elle est comédienne sur Broadway. Evidemment, il s’est renseigné avant sur elle lorsque ses patrons lui ont clairement fait comprendre de ne pas foirer la vente... sous aucun prétexte. Il s’est douté que ce n’était pas une personne lambda mais à vrai dire, Jun se demande si c’est seulement possible d’être une ‘personne lambda’ et de pouvoir se permettre de mettre un pied dans leur agence immobilière. Disons qu’il faut un certain compte en banque et que la clientèle est pour la majorité fortunée à la limite de l’indécence. Mais disons-le clairement, Broadway ce n’est pas vraiment le truc de Jun. Zéro connaissance, mis-à-part le nom de quelques comédies musicales – les plus connues, ne vous attendez pas à autre chose venant de sa part. Alors c’est à l’aide de son ami Google qu’il a essayé de retenir la carrière d’Agnes Gallagher. Et s’il est capable d’apprendre par cœur toutes les lignes de chaque film Star Wars, c’est loin d’être le cas pour cette situation.
« Je sais très bien qui vous êtes, Mme Gallagher. » annonce Jun avec son sourire de commercial en carton. Flatté la clientèle fait aussi partie de son travail après tout. « Je n’ai jamais eu l’occasion de voir votre travail car disons-le clairement, j’ai peu de temps libre mais votre nom n’est pas inconnu dans le milieu. »
C’est qu’il ment plutôt bien, l’imbécile. Jun ne précise pas par ailleurs que la seule fois où il a mis un pied à Broadway, c’était pour amener une de ses dates qui voulaient à tout prix voir une comédie musicale et qu’il s’est endormi à un moment… et s’est réveillé presque en hurlant face à des vocalises qui lui semblaient être sortie tout droit d’un autre monde. Autant dire que son date ne l’a jamais rappelé suite à cela.
« C’est d’ailleurs pour cette raison que je pense que cette maison est faite pour vous. Elle a été entièrement conçue pour un ancien musicien d’un groupe. Si vous voulez bien me suivre à l’étage, d’ailleurs… » dit-il avant de lui faire signe de passer devant. « Il a décidé de vendre suite à un divorce et la signature d’un contrat sur Los Angeles qui ne lui donnait aucune raison de garder cette maison plus longtemps. Disons qu’il cherche à la vendre assez rapidement, étant donné qu’il est déjà à LA. »
Jun se cache bien de préciser de quel musicien célèbre il s’agit, étant donné le scandale de son divorce actuellement. Parfois, il suffit d’un simple détail – même s’il n’a rien à voir avec la maison – pour compromettre une vente. Il ouvre alors la porte de la fameuse pièce, qu’il pense être un plus pour une femme comme Agnes.
« Et voilà, c’était la pièce principale de l’ancien propriétaire où il jouait. » dit-il avant de rentrer à son tour à l’intérieur. Seule pièce entièrement vide de la maison. « Elle peut se transformer en bureau, ou en une autre chambre... Mais elle peut aussi servir de pièce de répétition. Pas aussi impressionnant que la scène de Broadway, je vous l’accorde, mais il y a de quoi faire. Qu’en pensez-vous ? »

Agnes sourit, sensible à cette flatterie même si elle n’a rien d’honnête maintenant qu’elle y pense. La comédienne a travaillé dur pour se faire un nom sur les planches de Broadway, en atteste cette jolie maison dont elle considère l’achat, mais un brin de reconnaissance ne fait jamais de mal finalement et elle est prête à ignorer le manque d’authenticité, si elle ne repère aucun défaut de construction pendant la visite, car si elle peut se donner des airs d’ingénue, la rousse n’est pas née de la dernière pluie, et ses recherches extensives sur internet et son intensité lui assurent une certaine indépendance sur ce point.

- Et puis j’ai passé ces dernières années à Londres, il y avait peu de chances de voir mon travail après une journée de visites acharnées ! En tout cas ce que je vois me plait pour l’instant…

Ses yeux se posent sur les murs à la recherche de la moindre craquelure ou trace d’humidité. Si Agnes apprécie l’idée d’une chambre avec salle de bain communicante à l’étage, elle ne souhaite pas commencer l’année avec une fuite au plafond de la salle de séjour. Alors que la visite se poursuit, elle reste bien entendu en contact avec son père par message. Le fabriquant de décor, ne manquant pas de l’aiguilleur, Agnes revient sur cette histoire de salle de répétions, avec d’autres idées en tête évidemment. Une guitare électrique ou une batterie sont peut être faciles à installer à l’étage, mais un piano, c’est une toute autre affaire, cela va sans dire. Agnes aime recevoir ses amis et partager des moments conviviaux autour du piano, quelques verres, Harry… mais elle s’égare.

- Je suis assez surprise de la présence d’une salle de répétitions à l’étage cela dit, le sous sol semble plus approprié pour ce genre de choses, ne serait-ce que pour l’isolation du bruit, mais la pièce est spacieuse et on pourrait en faire une belle suite avec salle de bain et un bureau aussi, quelques placards, j’ai besoin d’un grand dressing vous vous imaginez bien…

Loin d’en avoir fini avec les questions Agnes reprend de plus belle sans lui laisser une minute de répit ou le temps de reprendre son souffle.

- Est-ce qu’il y a eu des renovation ou réparations récemment ? Des problèmes connus de l’agence dont vous seriez au courant. D’autre parts avez vous déjà reçu des offres sur cette propriété ? Si c’est le cas, pardonnez moi l’indiscrétion mais je serai curieuse de savoir pourquoi la vente a échoué ?

Encore une fois, il vaut mieux prévenir que guérir, même si en dépit de ces questions inquisitrices, Agnes se projette déjà.