Agnes déteste Marianne, mais elle doit bien admettre que le divorce d’Harry est une nouvelle qu’elle n’attendait pas, une nouvelle qui agite son cœur de la plus désagréable des manières. Les pensées d’Agnes se bousculent et il lui est presque impossible de ne pas les laisser s’attarder sur Harry, Harry qu’elle aime depuis des années, Harry a qui elle n’a jamais osé confesser ses sentiments… La comédienne ignore ce que ce divorce peut bien signifier pour elle, si la situation est temporaire ou définitive. Tout ce qu’elle sait, c’est que la douleur qui accable l’homme qu’elle aime est elle bien réelle et dans cette configuration, Agnes ne pourrait s’offrir le luxe de l’égoïsme. Quand elle apprend qu’Harry a besoin de son aide, elle accourt, stupide peut-être de ne pas savoir dormir en le sachant dehors à des heures indues, mais toujours disponible bien malgré elle. Elle prend une inspiration, puis sa voiture, Agnes a toujours aimé conduire. Elle allume l’auto radio, comme pour faire taire les battements de son cœur. Elle se gare, prend une inspiration, puis entre dans le bar où elle cherche son meilleur ami parmi les convives, tous émèches a cette heure tardives et surpris de voir apparaître l’actrice qui contraste évidemment avec l’établissement. Quand elle aperçoit Harry, son cœur se serre et elle pose sa main sur son bras.

- My dreamer… rough night ?

Elle caresse affectueusement ses cheveux rassurée de voir qu’il va bien malgré ses messages peu clairs et inquiétants. On lui a volé sa carte de crédit, un moindre mal et Agnes l’aidera à faire opposition une fois chez elle, lorsqu’ils seront tous les deux sortis de ce bar à l’hygiène discutable.

- Lets go to my place, it’s cleaner.

Elle prend sa main dans la sienne et ferme les yeux pour ignorer les protestations de son cœur fatigué d’avoir à lutter contre ces sentiments qui ne demanderaient qu’à s’exprimer.

La douleur ne le quitte plus. Elle est présente, lancinante, à l’endroit où se logeait autrefois son cœur. Elle a tout remplacé sur son passage, la joie, l’excitation, l’impatience et son âme d’enfant qu’il explore à en croire sa future ex-femme un peu trop souvent. Il s’est toujours demandé si le divorce était quelque chose qui s’attrape. Est-ce qu’on se lève un matin en ayant la maladie du divorce, l’impatience de la fin, la volonté insoutenable d’en finir avec ce couple qui rencontre une phase difficile ? Quand est-ce qu’on arrive au bord du précipice du mariage au point de se dire que si on ne divorce pas, on ne s’en sortira pas ? Il n’a pas eu l’occasion d’en arriver là. Il aurait sans doute pu voir les choses venir à cause des disputes incessantes, des désaccords, à cause de son incapacité à donner à Marianne un enfant, mais quand elle a prononcé le mot « divorce », il a eu l’impression d’être poussé du dixième étage d’un immeuble, sans possibilité de se rattraper à quoi que ce soit. « Je veux divorcer ». Elle n’a pas dit on devrait divorcer, on doit se séparer, il faut qu’on prenne l’air. Elle a posé ses besoins à elle et il n’a le droit que d’accepter son destin. Il n’a même pas essayé de débattre, il a pris sa peine, quelques affaires, et il est parti. Un temps, il a erré sur le canapé d’Arash mais Alice n’aurait pas supporté qu’il traîne. Alors il est allé chez ses parents comme l’aurait fait un gamin. Quelques jours de plus à supporter les regards apitoyés de sa mère et la compassion de son père. Ensuite, il a trouvé un appartement où il s’est terré en attendant que la douleur de Marianne s’en aille. Mais la douleur ne s’en est pas allée. Alors, il a essayé de noyer son chagrin dans l’alcool, et parfois, il a l’impression que ça aide. Alors tous les soirs, il prend ses clés, son téléphone, et il retrouve un bar quelconque, sans âme ni charme, pour essayer de noyer la peine.

Ce soir est un fiasco total. Il a mal à la tête, vaguement envie de vomir, ses jambes flanchent sans arrêt et un jukebox vieux comme le monde passe une programmation musicale qui, une fois sur deux, lui rappelle les cheveux dorés de sa femme. Leur enfant aurait été superbe. Comme elle. Il ferme les yeux, paie ses consommations, envisage d’appeler un taxi, se rappelle qu’il habite à deux pas - mais où, exactement ? C’est à ce moment là que surgit un petit rigolo, qui lui arrache sa carte bleue des mains et se barre en courant. Il tente bien de se lever mais c’est peine perdue, ses jambes le supporte à peine. Il fait quelques pas, titube, et se retrouve affalé sur un tabouret esseulé qui n’est pas le sien. Il a beau concentrer ses efforts sur le fait qu’il doit rentrer chez lui, son esprit vagabonde, et dans un espace temps confus, il sort son téléphone, et Agnes est là. Elle apparaît presque comme un ange dans cet endroit détestable qui ne lui sied pas au teint. Quand il la voit, inquiète, jolie, les yeux tristes à cause de lui sans doute, il se dit qu’il aurait dû épouser Agnes. Agnes ne demande pas le divorce. Agnes ne prend pas le cœur des gens pour en faire des morceaux irréparables. Agnes répare, illumine, enjolive. Agnes est trop bien pour être dans ce bar, elle est trop bien pour ramasser Harry. Il mérite qu’elle ne soit pas venue, mais elle est là. Elle prend sa main, il se lève, il acquiesce comme un enfant et la suit dehors. Il s’accroche à un banc qui passe par là sur son chemin et se laisse tomber dessus, concentrant tous ses efforts sur le fait de ne pas vomir. Il se sent suffisamment sale et humilié, il n’a pas envie d’en rajouter une couche.

- I’m not sure I can walk, I feel terrible.

Il soupire et pose sa tête entre ses mains, ses coudes en équilibre sur ses genoux.

- I’m so sorry.

La douleur ne s’est pas noyée, et comme un enfant, il se remet à pleurer.

La tristesse se lit sur les traits d’Harry et Agnes doit rassembler un océan de courage pour ne pas laisser ses propres larmes couler en voyant celle d’Harry. Agnes n’a pas l’habitude de le voir ainsi, et si elle ferait absolument n’importe quoi pour l’aider, la situation n’a rien d’évidente, et ce à bien des niveaux. Elle soupire pourtant et se laisse tomber à côté de lui, faisant fi des regards que certains clients leur lancent, intrigué sans doute de les voir assis sur le sol, le dos collé au mur alors que le reste du monde s’agite au son de vieux tubes d’un autre temps. Dans un geste affectueux, l’actrice prend la main d’Harry dans la sienne et la serre avec tout le soutien dont elle est capable. Elle aimerait trouver les mots pour l’apaiser mais Agnes n’a aucune idée de ce qui pourrait donner un semblant d’espoir à cet homme qu’elle aime en dépit de tout. Si la comédienne est convaincue que cette rupture permettra à son meilleur ami d’être enfin libéré d’une relation qui lui est toxique, elle n’en reste pas moins consciente qu’à plus de quarante ans, il s’était probablement imaginé passer sa vie entière avec cette femme qui, du point de vue d’Agnes en tout cas, ne l’a pourtant jamais accepté entièrement.

- It’s okay… I’ll help, I’m a strong woman !

Elle sourit puis embrasse sa joue avec tendresse, sa main caressant toujours tendrement les cheveux du comédien dont larmes coulent sans pudeur. Harry est un homme sensible, Agnes l’a toujours su, mais jamais avant aujourd’hui elle ne l’avait du dans un tel état. Son coeur se serre, mais elle tente tant bien que mal de se focaliser sur l’acteur, oubliant ainsi son coeur dont les protestations sont permanentes.

- I’ll always be there you know? I’m glad you called me. We’ll get through this together I promise my dreamer, trust me.

Agnes s’installe à côté de lui et son instinct lui dicte qu’il faut qu’il prenne sur lui, qu’il se relève pour la sortir de cet endroit trop glauque pour elle. Il n’a aucunement pour objectif de mettre son amie dans une situation embarrassante ou délicate, ni même de la forcer à le rejoindre dans des endroits moins sécurisés qu’il ne le souhaiterait. Il caresse sa main et tente de se calmer en écoutant sa voix et ses mots apaisants, fermant les yeux quelques instants pour que la terre arrête de tourner. Agnes est à l’antithèse de Marianne. Marianne est toujours agacée, avec un humour piquant, prête à jeter des piques ou des réflexions. Agnes est bien plus douce. Il ignore pourquoi cette pensée lui traverse l’esprit - mais ce soir, la douceur d’Agnes lui fait plus de bien que les litres d’alcool avalés sans relâches.

- Thanks for coming my Angel, il murmure tandis qu’elle embrasse sa joue. I know it’s late and I’m sorry for being such a pain. And of course I trust you, I’d trust you with my heart. Or… my life. I don’t know.

Il prend appui sur le mur derrière eux pour se relever sans lâcher la main d’Agnes, obsédé désormais par l’idée de sortir de cet endroit dans lequel elle détonne. Une fois dehors, l’air plus frais lui fait un peu de bien et l’aide à tenir droit sans songer en permanence à son estomac retourné par l’alcool, la tristesse, et le manque de nourriture. Il a sans doute traversé des moments tout à fait pathétiques dans la soirée et trouvera certainement une flopée de messages envoyés à Marianne un peu plus tard dans son téléphone mais pour l’instant, il préfère penser à autre chose.

- Can I come with you? My flat is so damn empty.

Il n’a même pas eu le temps de récupérer ses affaires ou d’aménager l’endroit, qui ne comprend pas même un piano encore - c’est dire si la situation est chaotique.

- I promise I’ll be nice and I’ll sleep on the couch.

Il soupire, et regarde la main d’Agnes dans la sienne, honteux.

On peut faire confiance à Agnes, c’est quelque chose qui se dit souvent d’elle. Agnes ne rechigne jamais à rendre service ou à faire preuve de loyauté envers les gens qu’elle aime. Le problème de la comédienne, c’est plutôt qu’elle ne sait jamais quand une situation dans laquelle elle se met ne fait que lui faire plus de mal ou flirter avec les limites que voudrait lui poser son coeur. Agnes n’a jamais mis de distance avec Harry, elle l’a aimé secrètement pendant déjà bien trop d’années sans qu’il n’en ait la moindre idée. Aujourd’hui, elle s’en veux presque d’espérer qu’il ne la remarque dans le chaos de son divorce qui pourrait très bien être annulé dans les jours à venir. Agnes n’a aucune certitude et pourtant, en amie exemplaire, elle chasse ces pensées de son esprit, toujours loyale, toujours silencieuse sur ce qui peut la troubler. Elle pourrait s’en féliciter si ce n’était pas aussi triste. Agnes devrait certainement s’exprimer. Un jour peut-être, mais ce n’est ironiquement jamais le moment pour le faire. Ce soir, il faut surtout emmener Harry loin d’ici, s’assurer qu’il mange et dorme pour tenir le coup et être dans les meilleures conditions possible pour auditionner.

- Let’s get out of here…

Quand Harry se lève, la rousse l’accompagne lui offrant un appui qui pourrait se retourner contre elle. Agnes n’est pas bien lourde et ne pourrait pas relever Harry s’il venait à tomber, mais ils arrivent à se hisser jusqu’à la voiture d’Agnes qui est restée intacte malgré le quartier peu recommendable dans lequel elle l’a garée.

- Yes of course, I got myself a very nice house let’s make the most of it. I have some left over, I think you should eat something. Do you work tomorrow ?

Elle ouvre la boite a gants et sort une petite bouteille d’Evian qu’elle a visiblement oublié là. Elle ignore quels sont les projets d’Harry pour le lendemain, mais l’hydratation devrait probablement faire partie de son programme.

Quand il est installé dans la voiture, il a du mal à croire qu’il y est arrivé. Agnes continue de le traiter avec douceur, acceptant bien entendu de l’héberger chez elle sans la moindre contrepartie. Il est chanceux de l’avoir, c’est certain. Il se demande si elle le sait, pourquoi elle reste, pourquoi elle est toujours là. Il a entendu Marianne lui rabâcher des centaines de fois que son amitié avec Agnes n’avait rien de normal, qu’ils dépassaient tous deux les bornes. Il a du mal à comprendre pourquoi - à ses yeux, en tout cas, ils ne font rien de mal. Agnes l’apprécie tel qu’il est, et on ne pouvait pas en dire autant de la bientôt ex-femme d’Harry.

- Thanks, il dit, en prenant la bouteille d’eau.

Il s’y accroche comme à un rocher. Est-ce qu’il travaille demain ? C’est une bonne question. Il plisse le front et tente de réfléchir, mais l’exercice est difficile, l’alcool lui embrume le cerveau. Il n’arrive pas à s’arrêter, recherche l’apaisement dans une sorte de surconsommation qui ne sert qu’à le faire se sentir plus mal encore qu’il ne le serait.

- I do teach, but around 4 pm if I recall things correctly. So I guess I’ll be fine...

En revanche, il a une audition dans quatre jours. Et c’est une très mauvaise idée de continuer sur ce rythme s’il veut avoir une chance de la réussir. Or il est assez partagé entre l’idée de ne pas passer à côté d’une chose qu’il souhaite vraiment - le rôle en question - et ne pas recommencer à travailler pour cuver sa tristesse. Il a le droit de s’effondrer un peu, après tout. Il n’est pas certain d’avoir envie d’aller mieux tout de suite.

- I do have an audition in four days though.

Le dire à Agnes scellera son destin. Son amie ne le laissera pas foutre ses chances en l’air juste parce qu’il est triste et bourré.

- It’s a part I really want and I was called to come and audition so I guess ironically my chances are quite high. Guess I’ll just ruin it, as I ruin so many other things before starting my own marriage.

Il porte la bouteille jusqu’à sa bouche et pose la tête contre la vitre pour regarder les lumières, dehors. Son coeur lui fait tellement mal qu’il a l’impression qu’il va bondir de sa cage thoracique.

- You’re not like that, you don’t destroy things. You fix them. You fix people. That’s a beautiful thing to do.

Agnes tente de se concentrer sur la route, mais ses pensées se perdent une fois de plus bien malgré elle. La musique n’est plus la pour noyer les protestations de son coeur et Agnes a l’esprit qui vagabonde de nouveau vers Harry et les enjeux de cette relation qu’ils ont tous les deux. Un jour ou l’autre, elle devra bien lui parler de ce qu’elle ressent, de la douleur qu’elle éprouve à chaque fois qu’il rejoint son appartement ou la maison de sa femme, du désir qui ne la quitte plus depuis qu’elle a goûté à ses baisers sur la scène de Broadway, ou encore de toutes ces choses qu’elle a gardé pour elle parce que la situation l’exigeait à l’époque. Agnes voudrait pouvoir lui faire part de tout cela, dans un geste désespéré peut-être, terrifiée à l’idée de ne pas avoir le temps de s’ouvrir avant que ses espoirs ne soient réduits à néant, par Marianne ou par une nouvelle relation, mais ce n’est jamais le moment, l’histoire de sa vie n’est-ce pas ? Agnes se demande si elle est égoiste ou simplement lâche at this point. Elle a l’impression qu’elle ne pourra jamais gagner le coeur d’Harry, mais sans doute s’y prend elle de la mauvaise manière.

- I think you will, but you need to rest…

Les rues animées du Bronx s’effacent au profit des gratte ciels de Manhattan, le quartier d’Agnes. La rousse de son côté est partagée entre son envie d’être une amie sur laquelle on peut compter et cette femme qui saurait mettre des limites pour protéger ses sentiments. Agnes fait pourtant toujours la même erreur lorsqu’il s’agit d’Harry et si son coeur réagit déjà à cette simple idée, l’invitation échappe ses lèvres néanmoins.

- You won’t ruin it, I’ll make sure you won’t, but I think you should come to my place for a few days. We’ll get you in the mindset and we’ll make sure you take care of yourself and rehearse because you’re currently not in a place to do so. I have space in the new house, we’ll make it work and I can help with the audition.

Agnes hoche la tête, l’assertion est difficile à contrer. La comédienne a de bons arguments il faut bien l’admettre. Si cette idée n’est pas la meilleure solution pour son coeur à elle, elle est la meilleure solution pour Harry et c’est bien ce qui compte. Peut-être qu’un jour il réalisera tout ce qu’elle est prête à faire par amour pour lui. Il a l’air d’en avoir conscience, dans un instant de lucidité.

- I’m not fixing you Harry, I just love you for who you are and it shouldn’t be something so crazy to ask of someone you married don’t you think ?

Le quartier défile et Harry a du mal à fixer son attention sur ce qu’il se passe. Ses yeux sont lourds, à cause de l’alcool, à cause des larmes, et de tout le reste. Il a l’impression d’avoir perdu son temps, d’avoir trop donné à cette relation qui n’avait pas vocation à fonctionner. Il a l’impression que Marianne est en train de le priver d’une partie de lui. Il a l’impression qu’il a laissé tombé le jeune homme qu’il était lorsqu’il l’a rencontrée, celui qui était drôle et inspirant, avec lequel elle aimait sortir, rire et jouer parfois. Celui qui lui a promis de l’aimer jusqu’à ce que la mort les sépare. Il est comme sa mère, finalement, pas plus qu’un capable d’entretenir une histoire d’amour. Il a raté, alors que depuis toujours il aurait voulu vivre une histoire qui finit bien. Il était persuadé, à l’époque, qu’ils finiraient par construire une famille dans une grande maison avec une salle de musique. Des enfants auxquels il pourrait apprendre à jouer du piano, à chanter. Qu’il pourrait laisser faire des bêtises. Mais toutes ces choses là, même avec Marianne, il n’aurait pas pu les faire. C’est peut-être pour ça qu’il lui est devenu insupportable. Parce qu’incapable de lui donner des enfants. Quelle autre femme voudra de lui en sachant ça ? Est-ce qu’il aura le courage de recommencer, avec la sensation amère d’avoir été divorcé à 35 ans et de ne pas pouvoir offrir un avenir tel qu’on en souhaite un ?

- I don’t want to bother you, you’re doing enough for me, il murmure en fermant les yeux. I’d invade your space, you probably have better things to do than care about my audition. I won’t get it anyway. I’m not good enough lately.

Il est surtout dans une logique défaitiste qui l’empêche d’imaginer qu’il puisse donner le meilleur de lui-même. Pourtant, ce rôle pour lequel on est venu le chercher, celui du Phantom, Erik, dans Phantom of the Opera, c’est le rôle de ses rêves. A n’importe quelle autre période de sa vie, il aurait vécu une vie de saint pour affronter cette audition dans les meilleures dispositions et décrocher le rôle. Il en est capable. Mais il n’a pas réussi à oublier le reste pour prendre sur lui. Il a du mal à imaginer comment il va faire, de toute façon, pour se retrouver face à un casting director sans flancher.

- Thank you, though. You’re very kind. It’s a secret but to you I can tell I guess - they want me in for Phantom. As Phantom. Do you imagine?

Il ricane un peu, amer et ironique. Lui-même, il a un peu de mal à imaginer, en cet instant. Agnes lui dit qu’il l’aime pour ce qu’il est, et il soupire, sans prendre la mesure de ce qu’elle veut dire exactement, évidemment.

- Yeah, I guess, but I’m also unbearable. And apparently I don’t function properly either...

Il soupire et ferme les yeux, espérant qu’ils seront bientôt arrivés. Il sent déjà le mal de tête qui frappe à la porte de ses yeux. Demain sera une journée difficile, encore un peu plus difficile que les autres.

Le coeur d’Agnes se serre alors qu’Harry prétend qu’elle a bien mieux à faire que de s’occuper de son audition. Agnes n’a jamais vu Harry dans cet état et l’idée que Marianne ait pu détruire son estime de lui-même à ce point pourrait bien la mettre en colère. La colère est une émotion bien plus facile à gérer que la tristesse en réalité et Agnes s’y réfugie comme chez une vielle amie. Elle sert les poings, trouve une explication rationnelle aux battements frénétique de son muscle cardiaque, puis laisse son impulsivité balayer les implications plus profondes comme si elles n’avaient pas leur place dans cette conversation pourtant à coeur ouvert. Les discours d’encouragement enflammés, Agnes les maitrise mieux que son tempérament parfois extrême, et ce soir, Harry en a certainement besoin, plus que d’une solicitude qui ne lui ressemble pas.

- No. You’re amazing and she can’t possibly succeed in making you believe you’re not good enough for this or anything else you set yourself to do. I’m sorry but that’s typical Marianne bullshit. I won’t stand for this. We’ll do this together, as a matter of fact I am taking a break so I have plenty of time to support the people I love…

Agnes déglutit légèrement. Of course, elle lui a dit des centaines de fois, dans ce même contexte d’amitié inébranlable qui les lie depuis des années, mais ce soir elle a l’impression d’être une imposteure, celle qui crie au bullshit alors qu’elle a l’impression de manipuler la vérité en lui cachant ce qu’elle ressent depuis des années. L’annonce de phantom, supposée être un secret, vient cependant distraire Agnes, qui laisse l’amie en elle, prendre le dessus sur l’amoureuse au silence auto-imposé.

- Just come with me and we’ll figure it out. You’re good enough for Phantom. You just have to put yourself together and go for it, that’s what my dreamer would do. He would dream and do anything to make that dream come true. That’s who you are…

Ils arrivent en bas de chez elle et Agnes se concentre quelques minutes alors qu’elle se gare dans une place libre qui vient de se libérer, ajoutant ainsi une touche d’espoir à cette soirée pourtant mal embarquée.

- What do you mean you can’t function properly ?

Le sujet est un peu sensible pour Agnes, et elle s’attend à tout de la part de Marianne qui n’a jamais été avare de critiques sur son mari, qu’Agnes aurait aimé avec tous ces traits que la chirurgienne semble détester chez elle comme chez Harry.

Agnes ne veut pas le croire quand il dit qu’il est insupportable. La vérité, c’est qu’elle n’a jamais vécu avec lui. Marianne, oui. Marianne sait probablement mieux que quiconque ces choses là. Quand ils se sont rencontrés, fréquentés, puis mariés, Harry était vraiment très heureux, et Marianne semblait l’être aussi - elle avait l’air de vouloir partager avec lui la musique, le théâtre, et la vie de manière générale. S’il est totalement objectif, il sait que les choses ont commencé à changer bien avant le divorce. Elle semblait agacée par sa musique qui traînait partout, lui ne supportait pas de devoir supporter de longs dîners à écouter ses amis médecins parler d’opérations sanglantes et de patients morts. Ils étaient très différents, mais Harry n’a jamais pensé que cela pourrait devenir un obstacle insurmontable. Et puis, la jalousie s’est installée, de son côté à elle surtout, la jalousie tournée vers les actrices avec lesquelles il jouait, vers Agnes parfois, aussi, d’ailleurs. Mais finalement, il est suffisamment intelligent pour se remettre en question. En tout cas, Harry ne s’est pas marié pour divorcer, et l’échec, en plus de la perte de la femme qu’il aime, lui laisse une blessure qu’il imagine difficilement comment il va réparer. Il aurait peut-être dû faire preuve de plus de lucidité dès le départ, en considérant que Marianne était trop différente de lui. Une femme comme Agnes aurait certainement eu beaucoup plus de patience avec ses défauts et son amour démesuré pour la musique et toutes les choses liées à la comédie.

Agnes rejette d’ailleurs ses arguments et insiste pour qu’il reste avec elle. Il ferme les yeux, touché par l’attention, sans savoir comment il pourrait lui rendre la pareille un jour. Agnes is too precious for that world out there. Il sait qu’elle pourrait l’aider à avoir le rôle, même si cela passe par quelques jours désagréables de retour à la réalité brutale qui compose désormais son quotidien de futur divorcé.

- Okay, I’ll do it. Thank you.

Pour son dreamer, celui qu’elle semble aimer plus que les autres.

- It’s really a waste, isn’t it?

Il soupire et la laisse se garer, la dévisage un instant lorsqu’elle lui demande des précisions sur la complainte qu’il vient lui même de formuler.

- Can’t have kids. I’ll never be a father..., il chuchote, dans un soupir un peu étranglé, l’idée elle-même suffisant à lui briser le coeur. That’s part of the reasons why she left, I guess. That and me being unbearable.

Il défait sa ceinture pour descendre de la voiture et remonte son col de manteau, pour la suivre jusqu’à chez elle. Il se sent soulagé, au moins en partie, de savoir qu’Agnes est là pour veiller sur lui. C’est égoïste, sans doute, mais c’est vrai.

- You’re too kind to me, you know? I don’t deserve you.

Nouveau soupir, Harry se sent écrasé par une tristesse qui refuse de le quitter et qui lui ajoute un poids incommensurable sur les épaules. Il voudrait faire une avance rapide dans le temps pour oublier qu’elle est partie, qu’il est seul, et qu’il le restera sans doute. C’est une chance, finalement, qu’ils n’aient pas réussi à faire d’enfants, sinon ils se seraient retrouvé dans la même situation que lui, petit. Privé d’un de ses parents.

- What will I do to thank you ?

Agnes hoche la tête, scellant son destin pour les jours à venir avec cette proposition. Harry sera chez elle, en sécurité, préservé autant que faire se peut des drames qui se sont abattus sur lui et son cœur amoché, mais il sera également, près d’elle, avec ses yeux tristes et sa voix douce teintées de notes graves, sa brosse à dent dans le petit pot en céramique de la salle de bain, les cheveux ébouriffés le matin, dans un t-shirt qu’il aura enfilé à la va vite pour se monter présentable... Il sera avec elle, presque sans interruption, à vivre de musique, à partager de nombreuses tasses de café qui s’accumuleront sur le plan de travail pendant leurs séances de répétitions studieuses. Il vivra avec elle, le temps d’une semaine avant de partir de nouveau, brisant cette illusion à laquelle Agnes sait déjà qu’elle s’habituera trop vite. Tout cela, si elle ne rompt pas la magie de l’instant en révélant ce que son cœur garde secret depuis bien trop années. Elle pourrait tout gâcher ou souffrir davantage dans le meilleur des cas, Agnes le sait pertinemment et pourtant elle fonce droit dans le mur, par amour sans doute, mais par amitié plus qu’autre chose. C’est la meilleure solution pour Harry, du moins pour l’instant.

Quand il parle de gâchis, Agnes hoche la tête, mais leur vision du gâchis en question diffère sur bien des points. Harry ne pense qu’à Marianne et ce qu’il estime ne pas lui apporter. Agnes quant à elle, pense à toutes ces années qu’elle a passé à s’imaginer une vie bien plus heureuse et sans souffrance à ses côtés. Ils auraient fonctionné ensemble, Agnes et Harry, la rousse en est convaincue en tout cas. Elle aimerait pouvoir lui dire, mais il faut attendre, toujours attendre.

- It is a waste yes, not for the reasons you think though…

Harry s’effondre à l’idée de ne jamais être père et le cœur d’Agnes se serre de nouveau tandis que ses bras se referment autour des épaules de son ami. Si Agnes, éprouve de l’empathie pour Harry, elle se trouve dans une situation inverse ou elle s’imagine que cette vie familiale dont elle n’a jamais vraiment voulu est probablement la raison de sa solitude. Tout le monde autour d’elle semble désirer la même chose, des enfants, une vie de famille, ne pas vivre pour travailler… Mais pas Agnes. Vera est là pour maintenir l’illusion, mais dans le fond Agnes se sent tout de même comme une anomalie.

- She left for things that are out of your control, starting with who you are, when you think about it. You lead very different lives from the start but she often blamed you for it. My friend Nate, has done everything to be a father, and I think we can both agree that gay couples would struggle just as much as you and Marianne did to have a child. Harry I really don’t think you can blame yourself for this, she’s a doctor, surely she could have tried others ways and options if that was something she deeply wanted. She didn’t think it was worth considering and it can’t be all on you if not at all ?

Agnes n’a jamais osé critiquer Marianne, mais elle a souvent rêvé de pouvoir lui dire ce qu’elle pouvait bien penser d’elle en pleine face. Agnes n’aurait jamais torturé Harry de la sorte, et une partie d’elle estime qu’ils auraient été bien plus heureux ensemble, si Marianne n’avait pas été dans l’équation. C’est la tout le gâchis pour Agnes, if only Harry could see it.

- You’re not unbearable, you’re a kind man that would make any girl happy. Believe me, I go on a lot of dates trying to find a decent man and none of them is at your level. Sometimes people don’t realise what they have and start hating on all the small things that do not matter because they get comfortable with their own flaws and think they deserve more than they can offer.

Agnes le serre contre son cœur et caresse ses cheveux. Son cœur quant à lui se remet à protester contre la présence d’Harry, trop proche pour ne pas l’affoler, trop loin pour lui donner ce dont il a besoin. Pour ne rien arranger l’attirance qu’elle ressent pour le musicien vient s’ajouter à l’équation faisant rosir ses joues bien malgré elle. Agnes lui rend sa liberté et reprend son souffle.

- Don’t say that, you’ll thank me later, when I’ll cry over some dude that didn’t call me back after meeting me in person and finding out how much I talk or how intense I am! You’ll remind me that I deserve better. And you, you deserve better than Marianne.

Harry se laisse entraîner dans les bras d'Agnes qui est une fois de plus présente pour lui. Il a raison, quand il pense ne pas la mériter. Elle est beaucoup trop bien pour lui, avec son équilibre, sa jolie maison, son travail acharné et son parcours de vie. Harry ne comprend pas pourquoi elle n'arrive pas à trouver un homme bien, à la hauteur de ses qualités. Il est persuadé qu'il aurait été bien plus heureux avec une femme comme Agnes, partageant ses passions, ses centres d'intérêts et son chemin de vie. C'est sans doute ça, d'ailleurs, toutes leurs similitudes, qui a contribué aux insécurités de Marianne, qui rejetait en bloc ce monde auquel Harry appartient complètement. La musique, la création, la scène. Ils partagent cet amour là d'une manière inexplicable. Harry sait très bien, au fond de lui, qu'il n'aurait jamais pu abandonner tout ça même s’il avait voulu sauver son mariage. A une époque, il a tenté, pour aider Marianne à accepter, pour se concentrer sur cet enfant qui ne viendrait finalement jamais. Il a mis ses ambitions de côté pour devenir plus calme, il a refusé de suivre Agnes pour se concentrer sur sa famille, celle qu’il n’a de toute façon pas été en mesure de créer. Toutes ces années de gaspillage, il les voit comme une monumentale perte de temps. Le temps qu’il aurait pu passer avec une autre femme qu’il aurait rendu plus heureuse, et avec laquelle il aurait lui même été plus heureux.

- She wanted the baby to be ours, il répond en reniflant un peu. La réflexion d’Agnes fait sens, et sans doute a-t-elle raison, mais il n’a jamais voulu blâmer Marianne. I really wanted a baby. Didn’t care much about the blood, Armin is definitely my father and yet he’s not my biological one, I still love him. But she didn’t agree with that. She didn’t agree with much but I thought we were just going through a difficult phase, and that things would get better at some point. I really wanted to be a better man for her but she didn’t leave me the time to change when I realised I had to...

Il s’emmêle les pinceaux, et l’alcool assombrit encore un peu plus ses pensées. Il se voile la face en pensant qu’il aurait pu faire quoi que ce soit qui aurait permis de sauver son mariage - il n’aurait jamais réussi. Les choses se sont terminées pour une raison, mais le déni d’Harry, pour l’instant, lui permet de se complaire dans la dépression sinueuse qui s’est emparée de lui depuis qu’elle l’a viré de la maison.

- You’re so nice, but you’re wrong about me. I don’t think I can make anyone happy, I’m a brat, I talk to much, I’m snob about things and I have a very bad sense of humour that you americans don’t enjoy that much... Also I drink too much coffee and tea and then I leave the cups everywhere... that and the music sheets... and I sing all the time.

Il la regarde tout à fait sérieusement, entre ses larmes, sa tête qui lui fait mal, le bourdonnement dans ses oreilles et tout le reste.

- I’m also too cheesy sometimes, and I take bad rushed decisions to travel.

Il cherche la liste des autres choses qu’il pourrait présenter à Agnes pour lui expliquer à quel point il est insupportable, mais soudainement, il ne sait plus quoi ajouter. Marianne aurait sans doute des idées. Sa mère, aussi, et peut-être même Arash - mais là, il ne sait plus. Il ferme les yeux, et embrasse l’épaule d’Agnes dans un geste tendre et maladroit.

- You’re a saint to still love me despite all this. Thank you so much.

Il la laisse s’éloigner pour la suivre comme un enfant qu’il a la sensation d’être ce soir, et soupire.

- You deserve the best guy in the world. I don’t understand why they don’t see you. You’re the most beautiful and perfect woman on earth, honestly? It makes no sense that they don’t realise how lucky they are or could be with someone like you...

Il prend sa main, tendresse, en caresse les doigts, et l’observe du coin de l’oeil. Sa présence emplit son coeur de tendresse, un sentiment étrange qu’il ne parvient pas vraiment à qualifier.

- You’re amazing and you should be the happiest. I love you Agnes, why aren’t you the happiest?

Il s’approche, et replace une mèche de ses cheveux derrière son oreille, avant de la prendre de nouveau dans ses bras, contre lui.

- Thank you, il répète, fatigué, confus. Emmêlé dans ses émotions. Révolté par l’injustice du célibat d’Agnes et de la fin de son propre mariage. Et complètement bourré.

Agnes cache bien mal sa peine, et sa colère gronde. La rousse n’a aucune envie que son dreamer ne change, encore moins pour Marianne, qu’est-ce qu’il changerait de toute façon ? Harry est un homme sensible et romantique, créatif et rêveur, avec une personnalité bien à lui et une intelligence qui lui permet de pouvoir discuter sur de nombreux sujets. En prime, il est très loyal, ce qui ne lui enlève rien. Pour Agnes, Marianne a décidé de déverser toute sa frustration sur son mari, mais l’idée que son dreamer puisse remettre en question plus que son mariage la met hors d’elle. Son sang bouillonne d’ailleurs dans ses veines et Agnes doit déployer des trésors de patience pour ne pas montrer son agacement.

- You don’t need to change, people shouldn’t have to change, they should be celebrated for who they are. At least that is what I think and maybe that’s why I am alone in the end…Who knows ??

Agnes n’a jamais été mariée et peut être que sa vision est enfantine et celle d’une femme qui ne connaît rien à rien, qui s’est perdue dans une vision un peu trop idéaliste de l’amour et qui ne l’a en conséquence, jamais trouvé. Peut-être. Toujours est-il qu’Agnes est convaincue qu’on ne peut exiger des autres de changer. Des compromis peut-être, mais si Harry écoutait Marianne, il quitterait sa profession pour travailler dans un bureau du Park Avenue Plaza jusqu’à 22h !

- Well, I talk way more than you do and I do those things too. You should see my house when I try to leave in time for my yoga…Yet you seem to think I’m worthy of love ? Why wouldn’t you ?

Tout serait tellement plus simple si Agnes et Harry pouvaient être ensemble. Le discours de son meilleur ami, accompagné d’un baiser discret sur son épaule, la plonge d’ailleurs dans une intense frustration et Agnes aimerait soudainement le secouer pour lui faire réaliser ce qu’il est en train d’impliquer. Son cœur souffre de cette situation et le déni qui semble étouffer Harry en rajoute une couche bien difficile à vivre pour l’actrice qui ne voudrait lui crier qu’une chose : I don’t want the best guy in the world, I want you!. Agnes sent son cœur s’affoler et les mots pourraient lui manquer. Que dire à tout cela ?

- Well, if you think all that maybe you should marry me then because you’re the only one who does, quite frankly. But I don’t want to make it about myself really. All I’m saying is that, we’re so similar you and I and I wouldn’t settle for someone who doesn’t accept my quirks.

And she has many of them, ca on ne saurait la contredire sur ce point. Agnes ferme les yeux lorsque Harry se rapproche pour prendre sa main et caresser celle-ci dans une proximité presque intolérable. Il se montre doux et affectueux et Agnes sent qu’ils empruntent tous les deux un chemin sinueux qu’ils feraient bien mieux d’éviter. Agnes frissonne quand la main d’Harry entre en contact avec sa peau et le désir vient rapidement s’inviter dans la conversation lui aussi. Agnes sent qu’elle pourrait céder, l’attirer plus proche d’elle encore, éteindre les lumières et se débarrasser des quelques bouts de tissus qui la séparent du britannique. Harry n’est pas maître de ses pensées, il se laisserait sans doute entraîner par la tristesse et la perspective d’un peu d’affection sans doute. She could have him, right now, and ruin her chances forever. L’odeur d’alcool lui rappelle cependant la réalité dans laquelle elle est prise au piège. It’s not what she wants, she wants him as a lover, a partner, but not like this.

- I want things to be just right. It’s hard to find that balance I suppose ? We should make your bed.

Elle s’échappe de son étreinte les joues rosies par le désir qu’elle éprouve pour le comédien. Elle ne peut pas faire n’importe quoi des le premier soir, Harry est supposé passer la semaine ici, pour se concentrer sur son audition. Elle s’empare donc de draps qu’elle s’applique à installer dans la chambre d’amis.

- Do you need anything ?

Quand il y pense, vraiment, Harry ne comprend pas pourquoi Agnes ne voit pas quelqu’un. Il s’est toujours imaginé – quand il s’autorisait à imaginer un peu – qu’elle était le genre de personne facile à aimer, à apprécier. Tout a toujours l’air joyeux et simple quand il est avec Agnes, ils pourraient passer des heures à discuter, à faire de la musique. Ils aiment les choses, ils voient la vie de la même façon, comme une fête, l’occasion d’instants romantiques et complices, amoureux. Elle ne lui aurait sans doute pas demandé de changer. Les choses auraient été bien différentes s’il n’avait pas déjà été marié lorsqu’il l’a rencontrée, sans doute. Il serait vraisemblablement tombé amoureux d’elle – ça aurait été si facile, il aurait suffi de quelques instants.

- You’re right my angel…

Il acquiesce et soupire, sa tête lui fait mal, elle est lourde. Il voit un peu flou, aussi, d’avoir trop bu, trop pleuré, pas assez dormi. Son coeur lui fait atrocement mal mais il a au moins le soulagement de se dire qu’il n’est pas tout seul et qu’elle est là, près de lui, qu’elle va l’aider. Peut-être même qu’avec son aide, il obtiendra le rôle. Il se sent, en tout cas, dans une situation psychologique qui pourrait grandement faciliter son acting.

- You’re worth everything. And yes, I should have married you instead, but I didn’t know you when I decided to marry Marianne… Things would have been very different otherwise.

Il soupire et hausse une épaule en lui rendant sa liberté, conservant quand même sa main dans la sienne. Elle a l’air un peu contrariée, un peu énervée aussi, mais il est suffisamment bourré pour ne pas le prendre pour lui. Ils rentrent et très vite, la distance entre eux est réduite à néant de nouveau par une nouvelle étreinte. Elle est si proche de lui, et Harry a tellement envie de sentir son affection… il pourrait l’attirer contre lui, l’embrasser. Juste pour voir. Mais si son esprit est embrumé par l’alcool, en revanche, il est suffisamment maître de lui même pour savoir qu’il ne peut pas faire ça à Agnes. Il l’aime trop. C’est peut-être ça, d’ailleurs, l’origine du problème – mais encore faudrait-il qu’il s’en rende compte comme ça.

- Yes, bed. Sorry. You’re very pretty.

Il la suit du regard, trop alcoolisé quand même pour s’apercevoir de son trouble, et met sa main sur sa bouche comme s’il avait dit une bêtise. Ca lui est venu, comme ça, c’est tout. Il l’aide autant qu’il peut et une fois que le lit est fait, il soupire un peu et s’assoit sur son bord.

- Could I take a shower ? I’ll give myself water, after. I can probably manage, you should rest, I’ve been enough of a pain.

Agnes laisse échapper un rire ironique. La conversation garde malgré tout un goût amer chez Agnes qui se demande pourquoi elle laisse son coeur souffrir autant si Harry lui-même est si à l’aise avec l’idée qu’ils auraient été bien mieux ensemble. C’est là le réel gâchis de cette histoire, et la réalité la frappe en plein fouet. Harry est alcoolisé évidemment, et cette conversation n’aura pas de lendemain, comme toutes celles qu’ils pourraient avoir dans un contexte similaire et la frustration d’Agnes s’intensifie bien malgré elle. Une remarque plus cynique qu’elle ne l’aurait voulu échappe ses lèvres.

- They would have been indeed, but you never saw me that way anyway. Do you need another bottle for the night ? Water I mean.

Harry lui dit qu’elle est belle et les joues d’Agnes s’embrasent tandis qu’elle se hait de réagir si facilement au flirt alcoolisé d’un Harry perdu qui ne sait plus vraiment ou il en est. Il faut qu’ils se couchent, qu’ils reviennent à une situation qu’ils peuvent tous les deux contrôler. Si Agnes entre dans ce petit jeu, ses lèvres se retrouveront sur celle d’Harry, son corps pressé contre le sien. L’idée elle même lui fait tourner la tête et Agnes tente de se ressaisir.

- Are you flirting with me Harry Fletcher ? You must be really tired…

Elle lui adresse un sourire un peu triste, et Agnes espère qu’il oubliera tout ceci dès le lendemain. Avec un peu de chance, seul le mal de crâne qu’il ressentira au réveil lui rappelera l’existence de cette soirée. Ils pourront se concentrer sur la musique, sur l’audition qui pourrait offrir à Harry le rôle de sa vie.

- Yes, come here it’s in my room.

Elle lui offre son bras pour lui éviter de tanguer et le dirige à l’étage dans la salle de bain communicante avec sa chambre à elle. Agnes lui donne une serviette et lui propose d’utiliser ses produits qui sont déjà dans la douche. Une fois la porte fermée, Agnes se laisse tomber sur son lit et pousse un long soupir en tentant de ne pas laisser ses pensées voyager vers un Harry nu sous la douche, a quelques pas d’ici.

Agnes a l’air un peu agacée. Harry a beau avoir bu, son cerveau est à peu près capable de traiter cette information. Elle fait une remarque sur le fait qu’il ne l’ait jamais vu comme ça, et il penche un peu la tête, plisse les yeux. Il ne comprend pas où elle veut en venir, ce qui s’explique sans doute par les litres de bière ingurgités un peu plus tôt dans la soirée. Sinon, il comprendrait de quoi il retourne. Mais Harry n’a jamais vraiment pu s’interroger sur le fait de savoir comment il voyait Agnes car lorsqu’il l’a rencontrée, il était déjà marié, et Marianne occupait la moindre de ses pensées. Au tout début, il s’en souvient, il était pressé de la retrouver.

- Whatever, I’m a jerk. Don’t worry, I’ll find my way to the water. I mean, kitchen.

Il soupire puis suit Agnes qui a la gentillesse de le mener jusqu’à la salle de bain. Il entre et se laisser aller sous la douche et l’eau brulante, tentant de se remettre les idées en place. Il se frotte les yeux, fatigués d’avoir pleuré, bu. Il se sent perdu, étrangement seul, aussi. Un temps, il a hésité à partir, à aller passer quelques mois à Londres, pour voir s’il n’était pas le temps de s’y réinstaller. Et puis, est venue la proposition d’audition pour Phantom, et il a décidé de tenter. Le destin décidera pour lui, mais s’il n’est pas prix, le timing ne serait-il pas idéal pour retourner auprès de Rose et essayer de trouver du travail là-bas plutôt ? Londres lui manque.

Quand il a fini la douche, il enroule une serviette autour de sa taille et secoue ses cheveux. Il ouvre la porte sans penser. Agnes est installée sur son lit, et un instant, il l’observe, réfléchissant à ce qu’elle a dit tout à l’heure, quand elle avait l’air d’être en colère. Un sourire triste étire ses lèvres alcoolisées et sans détacher son regard d’elle, il penche un peu la tête.

- I would have gone for you if I wasn’t married when we met.

L’alcool balaiera le souvenir de cette phrase que pourtant, il pense. Il envisage un instant de s’approcher, de s’asseoir sur le lit, mais il se ravise, se contente de sourire un peu plus.

- I’ll go and sleep. I’m sorry that I disturbed you, tonight. You’re the greatest friend, though, I wouldn’t have thought of anyone else to call. Thank you Agnes.

Agnes ne sait pas ce qu’elle supposée faire de cette information, mais ses pensées elles n’attendent aucune logique pour s’agiter dans tous les sens en revanche. Harry n’a évidemment aucune idée de l’ampleur de ses mots, ni même des implications de son raisonnement alcoolisé. Agnes de son côté, sobre et désespérée, sait pertinemment qu’elle passera les prochains jours à se répéter les mots qui ont franchi la barrière des lèvres d’Harry sans avoir la moindre idée de comment elle pourrait aborder cette conversation avec son amour de toujours. Elle aimerait tellement clarifier la situation, tous ces non-dits ne lui ressemblent pas, cette vie qu’elle mène sur les sidelines encore moins. Oui, sans Marianne, Harry n’aurait sans doute même pas eu le temps d’initier quoi que ce soit. Agnes l’aurait fait bien avant lui et avec une détermination qui en aurait surpris plus d’un. Elle soupire pourtant et lui adresse un sourire épuisé de cette situation, bien que tendre dans les faits.

- What makes you think you would have had time to go for me, I would have scared you away with my impulsivity before you could even try anything. I had a thing for Raouls back then… Still do. But soon you won’t be married anymore, does that mean will you go for me ? That would please my mother for sure…

Agnes accompagne sa question impertinente d’un léger rire. Puisque la perspective de faire n’importe quoi avec un Harry alcoolisé is off the table for tonight, il est sans doute de bon goût de le cuisiner à la place et d’essayer d’en apprendre un peu plus sur ce qu’il a à dire sur le sujet. Si le baryton pouvait se souvenir de l’essentiel au réveil, peut-être qu’il aborderait la question de lui-même.

- I’m glad you called me too, and you get to see my panda pyjamas… Cute right ?

Elle sourit et lui tend la main pour qu’il s’approche, peut-être pas la meilleure idée qu’elle ait eu, mais Agnes souhaite l’enlacer.

Qu’adviendra-t-il de lui après le divorce ? Une question soulevée par Agnes qui ne devrait certainement pas être analysée aujourd’hui, alors qu’il a trop bu, et qu’il est avec elle dans cette belle maison. Il est facile de se dire avec le recul que son mariage était erreur qui pourrait être simplement réparée en signant les papiers du divorce et en passant à autre chose. Mais la vérité n’est évidemment pas aussi simpliste. Harry aime Marianne, c’est la base du problème. Il l’aime et il aurait voulu que son couple dure comme ils se l’étaient promis tous les deux à l’époques. Le destin en a décidé autrement, mais le divorce ressemble à un échec cuisant dont il porte pour l’instant assez seul la responsabilité, même si c’est injuste et qu’il faut sans doute regarder l’histoire avec tous les points de vue qui y sont attachés. Il va divorcer, Marianne va sortir de sa vie. Dans quelques mois, peut-être quelques années, il verra sans doute les choses différemment, il aura fait son deuil et il se reconstruira. Mais là ? Est-ce qu’il a envie de retenter l’expérience risquée du couple en sachant ce que sa fin peut donner ? Est-ce qu’il est prêt à se lancer dans la construction d’une histoire en ayant en tête qu’il privera la femme qu’il aimera d’un enfant, d’une famille, en tout cas telle qu’il envisageait de pouvoir en bâtir une ? Malgré les mots d’Agnes, Harry est obsédé par l’idée qu’il pourrait tout autant rater sa prochaine histoire d’amour, tomber sur une femme avec qui, de nouveau, ça ne fonctionnerait pas. Alors qu’il vient tout fraichement d’être quitté, il se demande s’il aura la force de retenter.

- I would have loved that, I was always the impulsive and romantic kind. Marianne hated it at the end, the unplanned plane tickets to London, the restaurants booked without her consent, the surprise holidays. And I kept doing it because for me, it’s such a beautiful and nice proof of care? I don’t know what I’ll do next, I feel broken. I’m not sure I could take care of anyone really... but there’s no one else I’d rather be with, to be fair.

Les mots sont pensés, mais ils seront évidemment oubliés. Harry ne s’est jamais autorisé à avoir une telle conversation avec Agnes, même pas avec lui-même. Sinon, il saurait que Marianne avait raison, que les excuses résiduelles étaient accessoires. Le vrai problème de leur mariage, c’était Agnes, Agnes partout, tout le temps, la muse aux intérêts similaires, la tendresse, la proximité, les centres d’intérêts partagés. Marianne était jalouse et Harry, sans doute, amoureux de deux femmes en même temps sans en être conscient. Ces pensées qui pourraient ressurgir au détour de verres d’alcool apparemment éclairants, il n’est pas capable de les intégrer lorsqu’il est sobre. Il faudrait pour cela qu’il reconnaisse l’origine du problème.

Agnes lui tend la main, et Harry s’approche pour s’asseoir avec elle sur le bord du lit.

- Very cute, like you.

Il sourit, et caresse sa main, ses cheveux mouillés qui gouttent sur la serviette.

- Maybe we’ll be together one day, you and me.

Agnes est persuadée qu’Harry pourrait prendre soin de n’importe qui. Elle l’a vu évoluer avec les années, c’est un homme attachant qui n’hésite pas à aimer et qui a un côté direct et sincère qui l’a toujours attirée finalement. Le britannique fait attention aux autres et à leurs besoins, tout du moins ceux qu’il décide de laisser entrer dans son cœur. Et Agnes, même si la situation peut la désespérer, sait qu’elle fait partie de ces personnes qui auront toujours droit au meilleur d’Harry Fletcher. C’est un homme fondamentalement sensible et plein de petites attentions qui prouvent sa loyauté en tant qu’amis ou partenaire de vie. De ce qu’elle sait de son mariage, Marianne en est arrivé à un point où son ressentiment s’abat même sur les plus belles qualités de son mari. Agnes sait que les mariages peuvent être compliqués et que la faute repose rarement sur une seule et même personne, mais l’incompatibilité qu’elle décèle entre Marianne et Harry n’est pas quelque chose qui se transcrirait dans une éventuelle relation avec son meilleur ami. Agnes ne serait pas agacée par les mêmes choses, puisqu’elle partage finalement beaucoup de ces traits elle-aussi. Peut-être qu’elle serait plus sensible aux plaisanteries que ne l’est Marianne, mais là encore Harry a toujours été bien plus délicat avec elle qu’avec les autres personnes de leur entourage et elle doute qu’il puisse pousser aussi loin les taquineries avec elle.

Le message est compris cela dit et Agnès apprécie cette sincérité malgré l’alcool. Harry ne souhaite pas d’une relation et pour être honnête, c’est sans doute pour le mieux. Si la leur doit exister, Agnes doit lui laisser le temps de se retrouver, d’éponger sa tristesse de son côté. Agnes ne peut pas se permettre d’être un second choix pour Harry et l’idée qu’il puisse la choisir juste pour éviter la solitude liée au divorce lui brise le cœur. Agnes souhaite être désirée par Harry, de la manière dont elle le désire depuis des années.

- Maybe… At least some people think we might but our friendship is what matters most to me, you’re my best friend. I don’t want to lose you ever.

Elle sourit et caresse son dos doucement avant de rire et de secouer la tête pour se moquer d’elle même ou presque.

- but gosh you’re such a lover when you’re drunk. A pretty one, you must be extremely successful in those bars you go to to forget…

Harry n'a jamais été du genre à mentir, et même avec un coup dans le nez, il a pour habitude d'exprimer clairement ce qu'il ressent ou ce qui lui passe par la tête, surtout lorsqu'il se trouve en confiance. Agnes est l'une des personnes qui comptent le plus dans sa vie, avec Arash, et sa Grand-mère. Il les aime profondément, et il ne s'imagine pas une seconde qu'il pourrait faire souffrir Agnes, ou lui mentir de manière délibérée - en tout cas, ce n'est absolument pas ce qu'il a en tête. Pour l'instant, son coeur et son cerveau sont tout entiers tournés vers la douleur que lui inflige le fait d'avoir perdu Marianne, et de voir son mariage ainsi que ses certitudes voler en éclats. Il a l'impression qu'il est à l'origine d'un échec, mais plus que ça, il a aussi la sensation qu'il ne s'en remettra jamais. Bien sûr que son couple avec Marianne n'était pas toujours parfait. Il arrivait qu'ils se tirent dans les pates, qu'ils se disputent ou qu'ils soit en désaccord sur le fonctionnement de leur foyer mais de là à songer qu'ils pourraient en arriver à divorcer, il y avait un monde. Il se souvient de son visage dur quand elle a abordé les papiers du divorce, et de son désespoir à lui. Mais il ne peut pas vraiment l'expliquer. C'est le coeur brisé, la tristesse du mariage qui s'arrête, l'échec de la vie ensemble, et tout le reste. Dans cet amas d'émotions violentes, parfois contradictoires, il lui semble impensable de pouvoir déjà faire de la place pour une histoire. Il serait trop insupportable, trop craintif, pas encore assez remis de ce qui s'apparente finalement à une forme de deuil.

- Your friendship matters a lot to me too, il répond, en caressant sa main avec tendresse. You're one of the most important person for me, with Arash and my family... Marianne used to be so jealous of you, but I couldn't have stopped seeing you. She asked once or twice, but you're too important to me... I couldn't. I just couldn't.

Harry ricane un peu et secoue la tête.

- I am, I'm sorry... I should go to sleep and let you rest. I'm sorry to be such a pain, I really love you and I'm so grateful to have you in my life...

Il embrasse sa joue, et se relève pour lui rendre sa liberté. Il n'a pas envie de faire de peine à Agnes, ou de compliquer le déroulement de sa journée encore un peu plus, il compte déjà tellement sur elle.

- Sleep well my angel...

Agnes se doutait bien que Marianne avait tenté de mettre fin à leur amitié. C’est une peur qui l’a souvent agité, mais à la lumière des sentiments qu’elle éprouve pour Harry, Agnes veut bien concéder cette lucidité à Marianne qui voulait sans doute protéger son couple de l’horrible personne qu’elle a l’impression d’être dans cette situation. Même si Agnes se réfugie dans sa haine profonde envers Marianne, elle sait au fond d’elle qu’il n’aurait pas fallu grand chose pour qu’elle se lance dans une relation secrète avec Harry si Le brun lui avait offert cette opportunité. Oh évidemment elle en aurait souffert, mais elle mentirait si elle disait qu’elle n’y a pas pensé alors que leurs lèvres se croisaient lors des répétitions du 25th anniversary de Phantom.

Avec le recul, Agnes se rend bien compte que Marianne a sûrement empêché que la situation ne dégénère. La comédienne ose à peine imaginer ce qui aurait pu se produire si Harry avait accepté le rôle de Raoul dans love never dies, restant ainsi à Londres auprès d’elle.

- You did take your distances though… At least for a while, when I was in London. And when you think about it, she had reasons to be jealous, we gave her many. After Phatom, or even during phantom, we took some parts very seriously…

Agnes déteste l’admettre mais ce serait bien hypocrite de prétendre que les craintes de Marianne étaient infondées. Agnes ne parlera que pour elle même, mais elle ne peut plus se mentir ainsi.

- I can’t talk for you, but I’m not all innocent in this. I wish I was, but at that time I was really into the whole thing and I felt very close to you, a bit too much maybe. And at times, I wanted more.

Agnes soupire et ses joues rosissent à nouveau. Agnes est honteuse mais convaincue qu’Harry ne se souviendra pas des détails de cette conversation, pas assez que l’effort demandé pour formuler un mensonge soit rentable.

Cette conversation, Harry ne veut pas l'avoir, pas maintenant. Elle ajoute de la culpabilité à celle qu'il ressent déjà, et son coeur se serre à l'idée que Marianne puisse avoir raison là-dessus aussi, en plus du reste. Une bonne raison d'être jalouse et de lui en vouloir pour avoir été trop proche d'Agnes. Et tandis qu'Agnes se dévoile, Harry se renferme, un peu, écrasé par la culpabilité. A en suivre le raisonnement de son amie, alors il aurait dû, sans doute, écouter Marianne et mettre de la distance. Il baisse les yeux, regarde ses mains quelques instants, pour reprendre contenance, sent sa gorge qui se serre et son coeur qui s'emballe. Il est vrai qu'il a pu se complaire dans deux relations privilégiées à une époque, mais il n'a jamais eu la volonté, lui, de tromper Marianne, de la faire souffrir. Agnes est entrée dans sa vie avec des centres d'intérêts proches et son joli sourire, sa joie de vivre et son idéalisme. Il n'a pas résisté à l'envie d'être proche d'elle. Mais les mots d'Agnes ce soir traduisent la faute commise qu'il n'avait pas envie de reconnaître. Il soupire, hoche la tête, emporté par l'émotion un instant, les yeux de nouveau humide.

- She was right, I really betrayed her.

Cette confession est trop douloureuse pour être assimilée, il est trop alcoolisé pour se souvenir de cet échange le lendemain. Il l'oubliera, pour éviter d'avoir à y penser, pour ne pas que ses yeux sur Agnes l'analysent désormais comme la maîtresse et plus comme l'amie, la proche confidente. Il refuse de la voir ainsi parce qu'elle deviendrait alors une des raisons de l'échec de son mariage, ce qui est profondément injuste. Il est seul responsable de l'échec. Il s'approche de nouveau, et secoue la tête en caressant sa joue tendrement.

- You're not responsible. None of all of this is on you, Agnes.

Il soupire, même si l'idée qu'elle aurait pu vouloir plus pendant Phantom devient soudainement obsédante. Il aurait été si facile de craquer, s'il avait su.

Agnes se mord la lèvre, même sobre elle réussit visiblement à mettre les pieds dans le plat et à blesser Harry. La vision de ses yeux tristes lui donne envie de se donner des claques. Il faut réellement qu’elle cesse de dire tout ce qui lui passe par la tête, c’est insupportable. Le comédien lui s’approche et embrasse sa joue, essaye de la laver de cette culpabilité comme s’il voulait la préserver. Si l’intention est louable, Agnes connaît sa responsabilité dans cette affaire. Cela fait maintenant cinq ans qu’elle désire un homme marié, et si elle aime a penser que la maturité lui a offert un peu plus de self control, elle sait au fond d’elle qu’elle aurait cédé à la tentation si Harry lui avait offert le même intérêt.

- No, you didn’t do anything. It’s me, I shouldn’t even have said anything about it. I’m sorry don’t blame yourself please. What would that bring anyway ?

Ils sont proches, si proches, le cœur d’Agnes pourrait exploser. Harry lui a offert plusieurs fois l’occasion d’aller se coucher et de mettre un terme à cette conversation, mais Agnes repousse le moment et joue un jeu dangereux. Elle soupire et prend sa main dans la sienne, pour lui apporter un peu de réconfort. C’est le rôle d’une amie non ?

- Sometimes you just meet someone that you really like and feel connected to. It can go beyond choices you make at some point in your life and that can suck yes. Anyway, I should probably stop talking about this, it’s not like we can change the past.

Not that she would want to change it. C’est le futur qu’elle aimerait changer, mais cela ne dépend pas vraiment d’elle.

Harry se noie un peu dans ses propres pensées. Il n’arrive plus à faire la différence entre ce que vient d’admettre Agnes et ce qu’il aurait lui-même pu éprouver à une époque, à sa part de responsabilité dans l’échec de son mariage. Si la rousse dit vrai et qu’ils auraient pu céder, flirter, voire pire, alors Marianne a raison. Et si Harry prend la responsabilité de l’échec depuis l’annonce du divorce, il a toujours rattaché ça à des choses qu’il ne pouvait pas vraiment changer, qui constituent sa personnalité. C’était plus confortable comme ça. La vérité qu’Agnes lui met sous les yeux est assez différente ; il reste fautif, c’est certain, mais il est fautif en raison de son comportement et d’évènements sur lesquels il était été tout à fait en mesure d’agir. Il aurait pu mettre de la distance entre Agnes et lui pour sauver son mariage, par exemple, alors qu’il n’est que très probable qu’il ait pu renoncer à son coté irrémédiablement romantique. Mais aurait-il vraiment mis de la distance, cela dit ? En aurait-il été capable ? Rien n’est moins sûr non plus.

- Don’t be sorry, you didn’t do anything wrong. And even if something had happened back then, even if... I mean, I was the married man of that story.

Mais si Agnes avait raison, et que leur rencontre avait tout changé pour de bon tout simplement parce qu’elle était plus faite pour lui que Marianne ? Il n’a jamais eu l’occasion de se poser la question ainsi parce que Marianne était là avant, et qu’elle avait été, en son temps, une évidence, mais Agnes n’en n’aurait-elle pas été une si Harry l’avait rencontrée la première ?

- We can’t, you’re absolutely right about. I’m sorry I bothered you with all this, and my marriage stories.

Il embrasse sa main, puis la lâche, lui rendant sa liberté. Il devrait sans doute partir, maintenant, aller se coucher. Il est toujours en serviette.

- I should let you sleep, right?

Agnes se mord l’intérieur de la joue. Cette conversation ne devrait pas avoir lieu et elle le sait. Laisser son cœur et son impulsivité parler n’est jamais une solution quoi que son petit crâne puisse en penser dans l’instant présent. Jamais ces sujets trop profond évoqués à des heures indues n’ont changé quoi que ce soit à sa misérable situation, situation dont elle est responsable en tout point, quoi qu’en pense Harry. Même à l’époque de phantom, elle se souvient d’avoir laisser échapper quelques blagues qu’elle aurait décidément dû garder pour elle. Non, Agnes ne peut pas le laisser porter le poids de la faute.

- But nothing happened. You didn’t do anything although I guess I would have let you…that’s the problem.

De pire en pire et Agnes n’a même pas l’excuse de l’alcool, une eau parfumée aux fruits rouge voilà ce qu’elle a bu. Pour ne rien arranger, elle a l’impression de marcher sur des œufs avec Harry, qui semble rongé par la culpabilité et plus enclin à aller se coucher qu’à ne l’écouter raconter n’importe quoi.

- No, you never bothered me. It’s me I say nonsense that’s not helpful in any way. But it’s not you. I could spend the night listening to you and not be bored a second. You’re not the one who doesn’t let me sleep, I keep you talking and I guess I triggered you as well so if you want to sleep and rest, I am the one that should let you.

Agnes lui jette un regard à la fois triste et plein de frustration. Elle le desire tellement et depuis tant d’années qu’il lui est difficile de ne pas tout lui avouer ce soir, en attestent les nombreuses révélations à demi mots qu’elle n’a pas su retenir.

- Before we make a mistake or say things we shouldn’t…