Damian a du mal à comprendre comment il en est arrivé là, à ce stade. Il a tout essayé pour tenter de s’en sortir, et il regrette profondément le mal qu’il a fait à Clare maintenant. Il y a quelques mois, tout lui souriait, il était dans un show renommé, avec un rôle important, fiancé, amoureux - en tout cas le pensait-il. Il ne reste plus rien de tout ça. Il n’est même plus sûr d’être fiancé. Il a trompé Agnes, il a brisé Clare, il a perdu le rôle, et il ne sera sans doute plus jamais embauché sur aucune scène de Broadway. Sa vie n’a plus le moindre sens, et la honte, la culpabilité et le désespoir se mêlent, en l’empêchant d’envisager une issue quelconque à cet enfer permanent qui l’entoure. Il ne sait pas comment faire pour passer à autre chose. Depuis des jours, il filtre les appels de tout le monde, tente de joindre Agnes de manière frénétique. Il a besoin de savoir ce qu’elle va faire. Il sait, au fond de lui, qu’elle ne pardonnera pas. Il n’est même pas sûr d’avoir envie qu’elle le pardonne. Il a envie qu’elle lui crie dessus, qu’elle le gifle, qu’elle le secoue. Il a envie de lui dire que c’est de sa faute, tout ce qu’il se passe, tout ce qu’il s’est passé. Si elle l’avait vraiment aimé, il ne l’aurait pas trompée. Mais ce genre de choses ne se disent pas, il a déjà essayé, et c’était un tolé.

Agnes doit être rentrée depuis plusieurs jours maintenant, et elle ne va pas pouvoir le fuir indéfiniment. Ils sont toujours fiancés, après tout, et il voit difficilement comment elle ne va pas s’emparer du sujet pour le larguer en bonne et due forme ; l’occasion est rêvée. Elle pourra retourner câliner Harry Fletcher qui la fait toujours en rond depuis des années, mais ça, ça ne fait rien. On pardonne toujours aux gens comme Harry Fletcher, ils s’en sortent avec les honneurs alors qu’on ignore leurs défauts et leurs coups en douce. Lui, il sait. Il a vu le vrai visage d’Harry. Il essaye de la joindre sans relâche depuis son retour mais pour l’instant, elle lui a toujours refusé une entrevue. Il faut croire que les choses sont différentes aujourd’hui puisqu’elle propose de venir le voir. Evidemment, la maison n’est pas vie, Harry est là. Il donne des cours. Harry est toujours là, omniprésent, centre de l’attention et de l’univers d’Agnes, au point qu’elle ait accepté de l’épouser lui mais pas de quitter sa maison pour s’installer avec lui, lui préférant la compagnie d’Harry, sans doute. Ce mariage n’a aucune raison de fonctionner, il ne sait même pas pourquoi il essaye de s’y accrocher. Il prend le métro pour rejoindre Manhattan cela dit, il hésite à acheter des fleurs puis se ravise. Il préfère y aller directement, sans trop savoir à quoi va mener cette conversation, mais peut-être qu’une fois qu’il l’aura eue, il pourra s’enfermer en paix dans sa chambre pour ne plus en sortir, ignorer son téléphone, ignorer le monde. Oubli ses problèmes, arrêter de ressasser cette impression de ne jamais parvenir à être celui qu’il voudrait être.

Quand il arrive, il sonne. Il n’a jamais eu la chance qu’on lui donne les clés. Il ne sait même pas s’il est énervé ou triste, mais la vision d’Agnes sur le pas de la porte ne l’apaise pas, c’est même plutôt l’inverse. Si elle assumait ses sentiments pour Fletcher, ils n’en seraient certainement pas là. Il a tout essayé pour lui faire oublier Harry, pour lui faire comprendre qu’elle pouvait passer à autre chose et être heureuse avec lui, mais rien n’y a jamais fait.

- Salut, il lance, en soupirant un peu. Merci d’avoir accepté de me voir. Ton voyage retour s’est bien passé ?

Agnes doit bien se rendre à l’évidence, il faut qu’elle parle avec Damian. Si même Harry le pense, c’est sans doute qu’il est temps pour elle de faire un pas en sa direction et en l’occurrence, cesser d’ignorer ses appels et ses messages en reportant l’investissement psychologique que cela implique à plus tard. Une semaine s’est écoulée depuis le retour d’Agnes et avant son retour, la rousse lui a promis une chance de s’expliquer, il faut qu’elle s’y tienne, par principe au moins. Elle a donc consenti après moult relances à lui répondre et à l’inviter chez elle pour tirer les choses au clair et prendre une décision, malgré l’angoisse que cela implique. Damian se permet évidemment d’insinuer qu’il préférerait qu’elle soit seule chez elle pour discuter mais Agnes de son côté est rassurée par la présence d’Harry dans la maison. Si la conversation s’échauffe et met la comédienne dans tous ses états, elle sait que le musicien interrompra ses activités pour lui venir en aide et l’aider à se calmer.

Agnes attend donc nerveusement la venue de Damian, les ongles pianotant sur le bois de la table de la salle à manger où elle s’est installée pour organiser son planning de la semaine. Malgré ses efforts, Agnes s’agite et peine à se concentrer sur son ordinateur alors que son esprit s’évade au gré des notes qu’elle peut entendre Harry jouer dans la pièce d’à côté pour accompagner son élève. Le musicien s’interrompt et sa voix grave mais douce s’élève alors qu’il entreprend de donner son feedback. Alors qu’elle hoche la tête, en approbation avec les paroles d’Harry, Agnes réalise qu’elle a perdu le fil de ce qu’elle était en train de lire. Quand elle se ressaisit, la sonnerie de l’appartement retentit. Une fois face à Damian, Agnes ne sait pas comment se comporter alors elle le laisse entrer et referme la porte derrière eux.

- Salut…

Agnes, se sent déjà gênée. Elle ne sait pas par où commencer et l’idée de commencer cette laborieuse conversation par de la small talk n’arrange rien à sa fatigue alors elle y coupe court rapidement, même si cela risque de braquer Damian des le début.

- Fatigant, mais ce n’est pas très important. On doit parler n’est-ce pas ? Tu veux du café ?

Agnes en a déjà avalé des litres pour tenter de se calmer au point d’en avoir mal au ventre. Elle s’approche donc du British corner et s’empare d’une infusion aux fruits rouges décaféinée qu’elle a ramené d’Angleterre, voila qui devrait faire l’affaire d’une conversation. Ses yeux se pose inévitablement sur les petites photos qu’elle a colle un peu partout dont une peu rigolote qu’elle a prise avec Harry devant la porte bleue de la célèbre maison de Notting Hill. Elle soupire incapable de savoir si elle se sent coupable vis à vis d’Harry ou de Damian. Quelque chose ne va pas dans toute cette histoire, et Agnes ne peut chasser l’idée qu’elle fait intégralement partie du problème. Une fois les deux boissons préparées, elle s’installe en face de Damian sans dire un mot.

Cette conversation, Damian n’a pas très envie de l’avoir. Il est presque persuadé de savoir déjà à quoi elle va mener, à Agnes qui va lui dire qu’elle ne veut plus le voir, que leurs fiançailles sont rompues et qu’il peut aller se faire voir. Est-ce que c’est si grave ? Il a l’impression de se raccrocher à elle comme à un dernier espoir mais finalement, il n’est même pas certain que cette relation le rende heureux. Lui, ce qu’il voulait, c’était se projeter dans la construction d’une relation et d’un foyer, mais c’est difficile à faire quand votre moitié vit avec un autre homme. Il est là, d’ailleurs, évidemment, même pour avoir une conversation sur leur relation, deux heures d’intimité, c’est trop demander. Il faut que la maison soit pleine d’Harry, partout, sur les photographies déployées par Agnes, et qu’il emplisse l’espace avec sa voix, ses étudiants, ses manières. Elle lui propose un café, il acquiesce, et il se sent comme un étranger dans la maison d’une autre, ce qui est exactement ce qu’il est. Il rassemble ses forces pour essayer de lui parler, sans comprendre que la convaincre est l’exacte inverse de ce qu’il désire. Il voudrait tout oublier, disparaître, faire le silence autour de lui, se replier pour quelques semaines, quelques mois, se faire oublier. Partir, peut-être. Que reste-t-il de ce qu’il a mis des années à construire ?

Il attrape le café qu’elle lui donne, installé sur le bord du canapé. L’espace d’un instant, il détaille ses traits fins, se souvient la première fois qu’ils se sont rencontrés, les premiers flirts. Au début, tout y était, en tout cas pour lui. Il n’avait pas encore réalisé quel serait le problème entre eux, il ne l’a appris que plus tard.

- Je suis désolé pour ce qu’il s’est passé quand tu étais à Londres.

Il soupire, ses deux mains qui encadrent la tasse de café déposée sur ses genoux.

- Je sais que ça ne suffit pas, et que c’est impardonnable, j’étais fatigué, je doutais de notre avenir, j’avais l’impression que tu ne m’aimais plus, ou pas, je n’en sais rien. Je me suis vu devoir annuler le mariage et expliquer à ma famille. J’étais fatigué et en colère, parce que je sentais venir le fait qu’on habiterait pas ensemble à ton retour, et je comprenais pas, je comprends toujours pas d’ailleurs, comment on pourrait se projeter dans un mariage si t’arrives pas à t’imaginer vivre avec moi ?

Il soupire, essaye de rester calme et de ne pas paraître agacé ou trop accusateur. Il sait qu’au moindre heurt, au moindre mot plus haut que l’autre, Harry en profitera pour sortir immédiatement de sa planque pour mettre un terme à la discussion, peu important qu’il soit important qu’ils l’aient.

- Je t’aime. Je veux vivre avec toi et t’épouser, je pensais ce que je t’ai dit quand je t’ai fait ma demande. C’était une erreur, avec Clare, dans l’instant, j’ai arrêté de réfléchir, elle m’a donné de l’affection...

Il n’est pas sûr qu’il est en train de s’exprimer convenablement. Il ne sait pas comment elle va accueillir ses excuses, une chose est sûre, elle n’a pas l’air d’avoir envie d’en passer par quatre chemins. Et lui, désespéré, il n’a même pas réfléchi au fait que peut-être, tout ça était arrivé parce qu’il n’était pas réellement amoureux d’Agnes. Et qu’aujourd’hui, si son coeur est brisé, ce n’est pas par la perspective qu’il puisse ne jamais se marier avec elle, mais simplement par l’absence de Clare et la haine qu’elle lui porte désormais.

Agnes sait que cette conversation est aussi nécéssaire qu’elle risque d’être désagréable. Rien ne fait sens dans cette histoire et sa capacité à se voiler la face s’effrite depuis quelques semaines déjà. La confrontation avec les arguments de Damian est imminente et Agnes craint sa propre réaction, tout comme le craint celle des autres. Tout serait plus simple si elle pouvait simplement lui hurler dessus et mettre un terme à une masquerade qui a assez duré, mais la rousse connait sa responsabilité dans cette situation et elle sent bien incapable de jouer un rôle qui n’est pas le sien par souci d’égo. Agnes a bien des défauts et elle est la première à en faire la liste, mais le manque de sincérité n’en a jamais fait partie. Si elle dissimule ses sentiments pour Harry auprès de Damian, il ne s’agit pas d’une intention malveillante ou tout du moins, ce n’était pas le cas quand ils ont commencé à sortir ensemble et à faire des projets communs. Agnes aurait aimé que ça fonctionne, que Damian lui fasses oublier les yeux clairs du britannique et les quelques années qu’elle a perdu à se faire des illusions sur un futur qui ne se produira jamais. Elle n’a pas su se résoudre à mettre de la distance c’est vrai, parce qu’on ne tient pas ses amis à l’écart pas vrai ? Agnes a l’impression de se noyer et elle craint l’issue de cette conversation. Il serait plus simple de se séparer, l’excuse lui est servie ici sur un plateau d’argent et pourtant… Est-ce qu’elle lui a donné une chance jusqu’à maintenant ? Agnes n’en est pas sûre. Est-ce qu’elle lui en veut d’avoir cherché l’affection qu’elle n’a pas su lui donner ailleurs, pas vraiment.

- Ce n’est pas exactement le problème, tu veux que je vende la maison pour qu’on s’installe ailleurs ensemble, c’est juste compliqué pour moi, c’est ma maison j’ai travaillé dur pour la payer, j’y suis attachée… Tu dis que tu as l’impression que je ne t’aime pas, mais je n’ai pas l’impression que tu m’aimes autant que le clames. Je suis autoritaire, je t’agace la plupart du temps, tu n’apprécies pas mes amis…

Et il y a la tromperie, mais ironiquement, ce n’est même pas la priorité d’Agnes. Tout avait pourtant bien commencé entre eux, mais Damian comme beaucoup d’autres avant lui s’est agacé de ses petites manies, de sa personnalité un peu trop marquée. Il a fini par préférer la compagnie d’une autre et Agnes le conçoit facilement.

- Tu penses que je ne suis pas facile à vivre et je veux bien l’entendre, tu n’es pas le seul à le penser après tout… Mais vivre ensemble ça me fait peur, et puis je n’avais pas envie de mettre Harry dehors alors que toute la maison est aménagée… J’avais besoin d’un peu de temps et peut-être que c’est le mariage qui est précipité après tout. Mais toute la planète est au courant de l’histoire avec cette fille maintenant. Je reçois des tonnes de messages à ce sujet je sais pas si tu te rend compte ?

L’attention médiatique de cette affaire est extrême et Agnes doit par dessus le marché composer avec le jugement des uns et des autres sur la situation. C’est le plus difficile à vivre dans cette situation.

- Je ne sais quoi faire Damian, ni même ce que tu espères vraiment de cette conversation ?

Damian aimerait fuir, tout à coup. La conversation, la maison d'Agnes, les bribes de la conversation du britannique, dans la pièce d'à côté, qui viennent jusqu'à lui, tout l'oppresse. Pourtant, il a créé cette situation, et depuis qu'Agnes est rentré, il est obsédé par l'idée de pouvoir avoir une conversation avec elle. Il souhaite avoir une chance de pouvoir sauver ce qui peut encore l'être. Aveuglément, sans s'interroger sur son instinct ou ses envies, il s'en-tête à trouver une solution à une situation qui devrait s'arrêter. Il le sait bien, au fond, qu'épouser Agnes, mener ce mariage à son terme, continuer dans cette voie, est une mauvaise idée. Ils courent à leur perte, tous les deux. Damian a l'impression qu'Agnes est la seule partie de sa vie qu'il peut encore sauver, pour se raccrocher aux branches de la déception familiale qu'il engendre, de la déception générale. Il avait des fans, avant, qui lui envoient des messages d'insultes aujourd'hui, et il a compris que c'était sa faute, il a tout gâché. N'empêche que la situation n'est quand même pas simple à traverser, et qu'il n'a pas les clés.

Agnes lui parle, cela dit, et il voit là sans doute le début d'une piste d'amélioration, un infime espoir de reconstruction. Tout est bon à prendre, dans cet océan de problèmes qu'il s'est créé lui-même.

- Je trouvais ça plus simple que l'on cherche un lieu à notre image à tous les deux. Je comprends, bien sûr, ton attachement à cette maison, mais c'est un hommage intégral à Harry Fletcher. Tu ne vas quand même pas me dire que tu aurais apprécié l'idée que je vienne m'installer ici ? Comment est-ce qu'on aurait bien pu faire ? Une colocation tous les trois ?

Il n'hausse pas le ton, mais il se pose sincèrement la question de l'aveuglement d'Agnes sur la situation.

- Je t'aime, mais la situation est difficile à comprendre ? Je t'ai demandée en mariage, et tu as dit oui, et depuis j'ai l'impression qu'on ne fait que marche arrière. Comment est-ce qu'on peut songer à se marier dans quelques mois si on n'a jamais eu l'expérience de vivre ensemble ?

Harry, évidemment, revient sur le tapis. Damian se demande comment des connards comme Harry peuvent s'en sortir sans encombre pendant des années comme ça, en toute impunité, alors que lui va payer immédiatement le prix fort de ses actes. Sans doute parce que le bariton est intelligent, suffisamment intelligent pour ne pas dévoiler son jeu. Pourtant, il est toujours là, au détour d'une pièce, dans une salle de musique, par message lorsqu'ils sont au restaurant, dans la maison où il vit désormais. Depuis des années, il est sur les lèvres d'Agnes à la moindre occasion, mi-dieu mi-parfait, elle vante ses mérites, elle recueille son opinion, elle anticipe le moindre de ses besoins sans qu'il n'ait besoin d'ouvrir la bouche. Mais tout le monde trouve ça normal, personne ne s'en émeut ou étonne.

- Je m'en rends compte, et je suis désolé pour le mal que ça a causé. Mais tu dois comprendre aussi que tu étais loin, et que j'avais l'impression de moins compter qu'Harry. Tu t'organises autour de lui mais c'est pas lui avec lequel tu as décidé de t'engager ? Harry est grand, il peut sans doute trouver une maison aménagée pour te permettre enfin de respirer un peu et de vivre ta vie ?

Il soupire, sait d'avance qu'Agnes refusera le thème de cette conversation, raison pour laquelle il décide d'enchaîner avec une vérité générale qu'il n'est même pas certain de ressentir et qui est dictée par d'autres sentiments que l'amour :

- Je veux qu'on travaille pour réparer notre couple et qu'on aille de l'avant. C'est ça que je veux. Mais toi, qu'est-ce que tu veux ?

Si Damian avait choisi de vexer Agnes volontairement, il n’aurait pas fait mieux avec un tel choix de vocabulaire. Lorsqu’elle l’entend parler d’hommage à Fletcher, la rousse se tend instantanément. Elle déteste les implications de Damian, mais plus encore elle déteste la manière dont il présente les choses. Oui Agnes a fait un joli tableau avec ses souvenirs de scène, évidement Harry est sur beaucoup des photos puisqu’ils ont le même groupe d’amis et qu’ils vivent ensemble, mais il ne s’agit pas d’un temple à son honneur et ces commentaires de la part de Damian, Agnes les a entendu bien trop de fois pour ne pas les prendre personnellement. S’il cherchait à éviter une réaction vive de sa part, il ne s’y est pas pris de la bonne manière. Agnes est vexée. Certes Agnes a mûri des sentiments pour Harry pendant des années, mais elle est tout sauf désespérée, si c’est ce qu’il implique !

- Ce n’est pas un temple dédié à Harry, c’est ma maison avec mes photos et ma vie et Harry en fait partie ! Même si on s’installait ensemble, les photos seraient quand même sur les murs. J’imagine que tu parles de ça et pas des installations ? J’aimerai bien être rassurée, car je ne souhaite pas d’un fiancé amateur de commentaires validistes envers mon meilleur ami !

Bonne occasion pour ne pas répondre à sa remarque sur la colocation, aussi valide soit elle pour le coup. Agnes n’est pas idiote, elle sait que Damian a des raisons d’être agacé, mais le début de cette conversation ne lui plait guère et cela ne facilite pas le communication qui aurait pu s’installer. Damian est jaloux, et elle peut facilement le comprendre, mais tout ce qu’elle retient ce sont ces commentaires passif agressifs.

- Excuse moi, tout est de ma faute donc ? Je pensais que tu venais t’excuser de m’avoir trompée ? Visiblement tu es la pour me dire pourquoi tu as eu raison de le faire. On aurait pu en discuter, j’aurais pu venir chez toi quelques temps. Je ne sais pas, mais j’étais à Londres que voulais tu que je fasse ? Tu aurais pu venir toi aussi.

Les reproches s’enchaînent et le je t’aime sans grande signification se perdent dans cet océan de critiques et de divergence d’opinion. Quand Harry revient sur le tapis, Agnes secoue la tête avec désapprobation. Voilà ce qu’il souhaite, Damian désire qu’Harry déménage et Agnes est furieuse.

- Je crois que tu ne réalises pas que tu n’es pas en position de faire des demandes. Je viens de rentrer de Londres pour me retrouver au milieu de ton petit scandale, qui crois le ou non, n’impacte pas que toi mais aussi les gens qui font partie de ta vie. Je ne vais pas mettre dehors la seule personne qui se soucie de moi et de comment je peux me sentir après ça parce que ça t’emmerde. C’est clairement pas le moment de s’installer ensemble, il faut revoir l’ordre de priorités. Ce que je veux, je ne sais pas, mais j’ai besoin de temps donc ce serait bien de reporter ta crise de jalousie à plus tard car je ne vais pas vendre ma maison, mettre mon meilleur ami dehors et m’installer avec l’homme qui m’a trompée aujourd’hui, ça c’est certain.

Damian a du mal à croire que la situation et la conversation soient déjà en train de lui échapper. Il était venu ici plein de bonnes résolutions, il fallait qu’ils discutent de tout un tas de choses, et voilà que la situation se retourne contre lui et qu’il se retrouve la cible des attaques d’Agnes. Bien sûr qu’il aurait été logique ou compréhensible qu’elle soit fâchée à propos de la tromperie, mais curieusement, ce n’est pas ça qui semble l’énerver le plus. Ce qui agace la rousse, c’est qu’il ose faire la moindre remarque à propos d’Harry, ce qui en dit long sur la personne qui occupe son coeur et ses pensées malgré le fait qu’ils soient fiancés. Damian pense qu’Agnes est amoureuse de ce connard depuis bien trop longtemps et il est profondément injuste qu’Harry puisse jouir impunément d’un statut de victime dans cette histoire alors qu’il n’a de cesse d’être le bourreau d’Agnes - et le sien, par personne interposée.

- Je ne parle ni des photos, ni de l’aménagement, d’ailleurs on aurait très bien pu chercher ensemble une maison accessible, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Ici, ce n’est pas un problème de photos, c’est son omniprésence dans toutes les pièces qui ne laisse la place à rien d’autre. Les partitions d’Harry sur le piano, le thé d’Harry dans la cuisine, le poulet qu’Harry a cuisiné hier et le pull qu’Harry laisse traîner sur le canapé, la maison est remplie d’Harry partout, pas besoin d’afficher des photos. Et c’est normal, vous vivez ensemble après tout, c’est une colocation, mais ici, il n’y a de place pour personne d’autre qu’Harry et toi. Et je ne suis pas en train de faire une crise de jalousie ou de te reprocher quoi que ce soit, mais toi tu évites ma question. Sérieusement Agnes, si je ne t’avais pas trompée avec Clare, tu serais rentrée de Londres et quoi ? On aurait fait une colocation tous les trois ? Toi, Harry et moi dans cette maison ? Ou on aurait attendu le mariage pour s’installer ensemble ? Ou alors on aurait jamais vécu ensemble après tout, c’est peut être une nouvelle forme de mariage ?

Il soupire et secoue la tête. Il est peut être le roi des cons, peut être qu’il a fait souffrir Clare, qu’il a fauté en trompant Agnes, mais elle n’est pas tout blanche dans cette histoire non plus. Elle l’utilise et elle ne s’en rend même pas compte.

- Toute cette incertitude, j’ai vécu avec avant qu’on se fiance, puis après nos fiançailles. Et ensuite il y a eu Londres et je me suis dit qu’on prendrait un nouveau départ à ton retour, mais plus les semaines passaient, plus j’ai réalisé qu’en fait, je me mettais le doigt dans l’oeil. Et oui, j’étais seul et malheureux, et j’ai fait de la merde, et j’en suis désolée. Pour toi, pour Clare, pour toutes les personnes impliquées. Ma carrière est foutue et je ferai en sorte que les gens sachent que c’était uniquement de ma faute, j’ai compris que je devais assumer.

Il soupire et secoue la tête, recadre la conversation, parce qu’il a besoin de savoir.

- Que tu mettes nos plans entre parenthèses aujourd’hui, je le comprends. Mais sois honnête, Agnes, est-ce que tu as envisagé une seule seconde qu’on vive ensemble, toi et moi, à ton retour de Londres ?

Agnes n’en croit pas ses oreilles et elle ouvre souvent la bouche pour répliquer mais la voix de Damian qui continue sur sa lancée de reproches ne lui en offre pas l’occasion. Voilà qu’il se plaint des affaires d’Harry qui traînent partout. De quoi se mêle t-il ? Agnes ne se remet pas de l’audace de ses commentaires qui une fois de plus attaquent son meilleur ami, qui fait bien ce qu’il peut en se déplaçant en fauteuil roulant. D’ailleurs Damian laisserait probablement traîner ses partitions sur le piano s’il vivait ici. Harry est tres respectueux de leur espace et ce n’est clairement pas à Damian de juger. D’ailleurs s’il croit se rattraper en lui affirmant qu’il trouve cela tout à fait normal, Agnes de son côté est resté bloquée sur la première partie de sa phrase, celle qui visiblement est supposé avoir un impact car elle voit bien mal pourquoi il se permettrait une scène s’il trouvait tout cela normal. C’est un truc qui m’agace chez Damian. Toujours des reproches, même quand celui ci n’est clairement pas en position d’en faire, il faut qu’il lui assène ses grands discours moralisateurs voués à lui démontrer que tout ce qu’il peut bien faire de mal est fondé sur une raison qu’il estime légitime. Well, Agnes pense qu’il n’en serait pas là si son comportement était modèle !

Il lui dit qu’elle évite la question initiale et la comédienne grince des dents. Il n’a pas tort, mais elle ne souhaite pas lui offrir le plaisir de l’admettre, ce serait lui donner une opportunité de recommencer à déverser ses reproches pour se donner bonne conscience. Damian lui en a dit des choses blessantes au fil du temps, par frustration plus que par méchanceté, elle veut bien l’entendre, mais il ne peut pas se placer en professionnel de la communication non plus.

- Pourquoi tu restes avec moi, si tu es si malheureux ? Peut-être que tu devrais me quitter pour une Clare ? Elle, elle n’a sans doute pas tous les défauts du monde comme ta stupide Agnes ! Un vrai boulet que tu traines la Damain, qui en plus t’abandonne pour aller travailler à Londres….

Agnes secoue la tête, mais ne lui laisse pas l’opportunité de répliquer alors qu’elle enchaîne elle aussi, dramatique.

- Franchement parfois j’ai l’impression que tu me trouves insupportable, que tu ne m’acceptes pas comme je suis, des que je suis un peu trop moi-même, je t’agace! Alors vivre ensemble… Oui ça me fait peur. Je suis rentrée il y a une semaine, je n’ai pas eu le temps d’envisager quoi que ce soit. Ou alors ce que j’ai tenté d’envisager, c’est si c’est possible pour moi ou non de continuer cette relation avec toi malgré ce qui s’est passé. Si j’ai mis du temps à te répondre c’est parce que je n’ai pas de réponse à cette question.

Elle aussi les épaules, fatiguée déjà de cette conversation.

- Et ca me blessé ces commentaires incessants sur Harry, je sais que tu ne l’aimes pas, mais moi si.

Agnes, évidemment, retourne la question, et voilà qu’il est accusé de nouveau de tous les maux. Evidemment, il l’a trompée, et ensuite, il a ruiné la carrière de Clare - même si cette dernière question ne concerne pas tout à fait Agnes. Bien sûr qu’il est fautif dans cette histoire de tromperie, mais elle... oui, elle l’agace. Elle a raison, en cet instant, alors qu’il avait de la peine pour elle, pour leur relation, il y a quelques minutes seulement, maintenant elle l’agace. Il voudrait qu’elle se taise et qu’elle l’écoute. Elle évite la question importante, la question centrale, ou peut être après tout qu’elle ne l’évite même pas, déclamant son amour pour Harry en lui jetant à la figure, Harry ceci, Harry cela, le fauteuil roulant d’Harry et les partitions d’Harry et le thé d’Harry et le coin british et tout ce bordel qu’Harry laisse partout, dans chaque recoin de la maison, mais aussi dans chaque recoin de l’esprit torturé d’Agnes. Comment va Harry ce soir, je ne peux pas partir en week-end ce week-end, c’est l’anniversaire de l’accident d’Harry. La colocation, le couple parfait, ce sont eux, ces deux égoïstes qui vivent leur histoire d’amour sans l’assumer en chahutant tout ce qu’ils trouvent sur leur trajet, les autres, les sentiments des gens, les coeurs de leurs compagnons. Ce n’est pas pour rien si le baritone a divorcé.

- J’ai jamais dit que t’avais tous les défauts du monde. L’emménagement, ça date pas de Londres, ni de Clare, on aurait pu l’envisager avant, mais tu as accepté de m’épouser en sachant très bien que t’arrivais pas à te projeter.

Il secoue la tête, las, agacé, exaspéré. A quoi bon se battre pour cette relation dont elle ne veut pas ? Damian ne comprend même pas pourquoi elle ne le quitte pas. Il la dévisage, bras ballants, secoue la tête, et ricane un peu.

- Ouais. Tu l’aimes. Tu aimes Harry, c’est bien de l’admettre. C’est pas juste cette amitié bizarre où vous êtes toujours fourrés ensemble, c’est pas seulement le fait que tu puisses pas respirer une seconde sans être sûre qu’il va approuver. Tu l’aimes, tu vois pas ? Et lui il te fait tourner en rond depuis des années avec ses histoires à la noix mais toi, tu continues à faire tourner ta vie entière autour de lui. Tu vois pas qu’il va pas te donner ce que tu veux ?

Lui, il le voulait. Lui offrir une vie de couple, un mariage. Quand il l’a rencontrée, il la trouvait tellement belle, tellement douée, tellement légère. Harry a abîmé chacun de leurs instants à deux, jusqu’à ce que cette situation naisse.

- T’es en couple avec un homme qui est pas en couple avec toi.

Les esprits s’échauffent et ni Damian, ni Agnes ne semble être en mesure de calmer leurs ardeurs. Les reproches pleuvent de chaque côté, et Agnes ne comprend pas comment Damian parvient encore à retourner la situation ainsi pour rejeter tous les tords sur elle alors qu’il est celui qui l’a trompé alors qu’elle se concentrait sur un rôle compliqué, seule à Londres. N‘était il pas venu pour présenter ses excuses à la base ? Agnes secoue vivement la tête, incapable de se montrer calme avec une telle démonstration d’irrespect de la part de son fiancé. Damian prétend qu’il n’est pas en train de faire une crise de jalousie, mais tout cela y ressemble bien trop pour qu’elle puisse croire une seule seconde à ces balivernes.

- Tu en as du toupet de venir ici pour « t’excuser » alors que l’idée c’est visiblement de m’en mettre plein la figure et justifier tes actions en remettant tout sur moi ou Harry ? Ça te fait te sentir mieux j’espère au moins ? Au final profiter que je sois à Londres, sans Harry je précise, vu qu’il doit absolument finir dans la conversation alors qu’il n’était même pas là, au lieu de me dire ce que tu penses vraiment, c’est peut être bien de ma faute aussi ?

Ils parlent en même temps, s’écoutent à moitié mais Agnes sent l’énervement prendre totalement possession d’elle. Les mots de Damian sont blessants, sans doute parce qu’ils sont empreint d’une certaine vérité finalement. Oui elle aime Harry, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas essayé d’être heureuse avec Damian pour autant, elle a essayé, mais lui promettre un mariage alors qu’il semble lui même ne pas l’apprécier autant qu’il le prétend n’est pas non plus aussi honnête qu’il aimerait le croire. Hors d’elle, Agnes pointe un doigt accusateur en sa direction.

- Tais-toi ! J’en ai assez! Si c’est ce que tu penses de moi depuis le début, il est temps de te poser la question de savoir ce que tu fais ici. T’es venu pourquoi exactement ? T’espère retirer quoi de cette conversation, de cette relation ? T’es venu pour te défouler sur moi, ou parce que personne d’autre n’accepte d’écouter ta version ou c’est moi le problème de ton existence. Tu me détestes, je sais même pas pourquoi tu es jaloux d’Harry, tu passes ton temps à faire des commentaires passif agressif et tu ne dis jamais ce que tu penses mais par contre tu n’as aucun souci à critiquer les autres quand ils ne communiquent pas parfaitement. Au moins, je ne me suis pas envoyé en l’air avec ma co star to make a point. Sors d’ici, tu ne fais que de nous insulter de toute façon !

Elle lui indique le chemin de la porte, incapable de supporter sa présence plus longtemps.