La nouvelle de l’accident d’Harry percute Agnes de plein fouet, comme un douloureux rappel à la fragilité de la vie. En quelques mots seulement le bonheur des dernières semaines est balayé, effacé comme s’il n’avait jamais existé. Les perspectives offertes par la nouvelle année semblent déjà s’évanouir et c’est sous le choc et pâle comme la neige que la jeune femme entreprend de rejoindre l’hôpital mentionné par la mère de l’anglais dans des textos dont la comédienne saisit à peine le sens. Fébrile, elle cherche ses clés et ses yeux se posent inévitablement sur les nombreuses photos de scène sur lesquelles figure évidemment son partenaire de scène et colocataire. La musique posée sur le piano, les deux tasses qu’ils ont laissé traîné sur la table du salon, tout semble vouloir lui rappeler qu’il est tout à fait possible qu’il ne revienne jamais. Le paysage de cet vie laissée en suspens agit comme un électrochoc et Agnes sent son rythme cardiaque s’agiter, son souffle devenir irrégulier alors qu’elle ferme les yeux pour éviter de se laisser aller à une crise de panique. L’étau se referme pourtant et Agnes se laisse tomber quelques minutes contre le mur de l’entrée. Elle a peur des nouvelles que la famille d’Harry va lui donner. Elle a peur de ne pas trouver sa place auprès des proches du comédien. Et puis soudain une pensée plus sombre la traverse. Et si elle n’arrivait pas à temps ? Les secondes et les minutes filent à la vitesse de la lumière et Agnes finit par se lever. Elle ne peut pas l’abandonner, pas maintenant. Elle se saisit de l’écharpe d’Harry qu’elle entoure autour de son cou sans même réfléchir, son parfum l’apaise alors qu’elle se laisse tomber sur la banquette arrière d’un taxi qui par miracle n’a pas l’intention de se montrer bavard.

Une fois à l’hôpital, Agnes est vite accueillie par les membres de la famille d’Harry, mais rapidement noyée par les paroles des uns et des autres, les lumières trop criardes. Elle devient vite part du décor, livide et silencieuse tandis que les autres s’agitent et assument les médecins de questions. Arash fait une apparition éclair, puis quitte les lieux à la vue de son frère. Agnes est sous le choc et se font presque dans les murs blancs de l’hôpital. Marianne finit par faire son apparition elle aussi se joignant aux pleurs et aux questions. Agnes a l’impression qu’elle a cessé d’exister et tandis qu’elle retrouve le chemin de chez elle, sa mémoire semble bien incapable de retrouver le sens de toutes ces conversations.

Les jours passent et Agnes qui s’est enfermée chez elle à pleurer toutes les larmes de son corps finit par trouver le courage d’envoyer un message à Carol, la mère du comédien. Elle ne fait pas partie de la famille et le fait que le britannique ne quitte pas le service des soins intensifs rend les visites spontanées compliquées pour la rousse qui n’a pas de lien direct avec le patient. Dans un geste plein de compassion, Carol accepte pourtant de l’accompagner et après quelques minutes auprès de son fils décide d’aller prendre l’air, abandonnant Agnes qui s’approche alors timidement d’Harry, toujours inconscient, le corps meurtri par l’accident et encadré de divers moniteurs effrayants.

       - Hey… Agnes commence, la voix tremblante et bien consciente qu’il ne lui répondra pas. Elle s’installe près de lui et prend sa main dans la sienne avec une douceur presque hésitante.I miss you so much Dreamer you have no idea… You have to come home, cats are going crazy and I think the piano out of tune… And I, I am just the usual mess but you would know. I can’t do this without you though… I am not that strong Harry, I need you with me. You have to wake up so we can binge bake off and talk about our feelings it’s worth it you’ll see… I was going to be brave for once, and tell the whole truth. If you can hear just be strong. I’ll promise I’ll be there, I love you…. Agnes s’effondre à ces trois derniers mots. Elle aurait dû lui dire bien avant.

Une nouvelle semaine file à toute allure et Agnes refuse de perdre espoir. Elle revient autant que faire se peut, puis le coup de téléphone tant attendu vient mettre un terme à l’attente interminable qu’elle vivait jusqu’à présent. Harry est réveillé, son état est stable. Le soulagement est bien évite accompagné d’un flot de mauvaises nouvelles, mais l’esprit d’Agnes refuse de leur accorder une importance quelconque. Harry est en vie et elle pourra bientôt le retrouver. La rousse tente de garder la tête froide, se prépare mentalement à ne pas laisser les détails de son rétablissement ombrager l’essentiel, puis rejoins les autres avec un trousseau qu’elle a préparé pour Harry avec tout ce dont il pourrait avoir besoin maintenant qu’il est réveillé. Elle glisse quelques sucreries et achète des fleurs, puis attend son tour. Quand la chambre d’Harry désemplit, elle est finalement invitée à entrer, même si sa présence reste discrète. Harry est toujours très fatigué et sans doute sursollicité par son entourage. Agnes lui adresse un sourire ému accompagné d’un petit signe de main du fond de la salle tandis qu’elle lutte contre les larmes qui voudraient rouler le long de ses joues.

tw : accident de voiture, hospitalisation, hôpital.

Les bruits sont étranges. Ils viennent de partout, et de nulle part à la fois. La lumière de la pièce était trop vive, ils ont demandé à ce qu’elle soit baissée, et maintenant il y fait presque nuit. Il entend les bips, bips, réguliers d’une machine à sa droite, qui le berce. Il ne comprend pas grand chose, sauf la douleur qui revient le visiter de temps en temps, pour un bref instant, un râle, rapidement résolu par une infirmière qui l’appelle par son nom de famille. Mr Fletcher. Quand il a rouvert les yeux, tout le monde s’est agité. Les gens défilent à un rythme effréné, mais celle qu’il a le plus vue, pour l’instant, c’est sa mère. Elle s’installe sur un fauteuil, prend sa main, et sanglote pendant ce qui lui semble être des heures. Au terme d’un combat interne assez intense, il parvient à lui dire quelques mots, et voilà qu’elle sanglote de plus belle. Dans son esprit confus, les souvenirs sont désordonnés. Il a compris, enfin, qu’il était dans un lit d’hôpital, et que quelque chose de grave s’était produit. Il se demande s’il est le seul concerné, et si Arash va bien, Arash était avec lui. C’est la seule chose dont il se souvient, le reste a été effacé par son cerveau, sans doute pour le protéger.

Marianne est venue aussi. Il ne l’a jamais vue dans un état pareil. Il a oublié ce qu’elle lui avait dit - il pense se souvenir qu’elle l’a quitté, cependant. La tristesse associée à cet évènement est gravé dans son coeur.

A un moment, on lui apporte à manger, pour voir. Il n’a pas vraiment faim, il a plutôt envie de dormir, et il sombre de nouveau dans l’obscurité. Il a du mal à penser, à mettre les choses dans l’ordre. Il a oublié ce qu’on lui a dit un peu plus tôt, et il n’a pas l’impression d’être le maître de son propre corps. C’est une sensation troublante, dérangeante, mais y penser relève d’un effort trop difficile. Armin est là, il a apporté une petite radio, déposée sur le bord de la table de nuit, pour qu’il puisse écouter de la musique. Il l’entend à peine, sans vraiment comprendre, mais petit à petit, sa personnalité reprend forme dans son esprit fatigué.

Autre instant, la porte s’ouvre et l’arrache à un sommeil plus médicamenté qu’autre chose dans lequel il avait sombré quelques minutes plus tôt. Il tourne légèrement la tête pour apercevoir Agnes, dans l’encadrement de la porte. Il essaye de sourire, sans savoir si ça marche. Elle a l’air fatigué, mais elle est belle - bien trop belle pour cet hôpital. Il a envie de la rassurer, de se lever pour la prendre dans ses bras, mais ce désir n’est qu’un fantasme qui ne sera bien évidemment pas mis à exécution. Il voit bien que sa vision l’émeut encore un peu plus. Carol a essayé de lui expliqué, tout à l’heure, qu’il était resté quelques temps dans le coma. Qu’il dort depuis plusieurs jours. Elle a parlé d’accident, sans donner de détails. Agnes va bien, en tout cas physiquement - c’est le principal.

- Hey.

C’est un murmure, un bruit faible, éraillé, qui parvient jusqu’à elle. Il est trop fatigué, trop perdu pour autre chose, mais dans un effort supplémentaire, il décolle légèrement son bras du lit pour qu’elle vienne lui prendre la main, pour qu’elle approche.

- Are you alright? il parvient à articuler, parce qu’elle a l’air désorientée et triste, et qu’il sait très bien que c’est de sa faute.

Agnes a l’impression de se fondre dans le décor, si proche d’Harry et pourtant si loin, perdue dans toutes ces conversations qui l’entourent, les sanglots et les sourires émus des uns et des autres. Le contraste entre les semaines précédentes et l’intimité brisée par cet hôpital austère est saisissant. La comédienne en vient à se demander si elle retrouvera un jour les bras rassurants d’Harry ou s’ils sont condamnées à se se rencontrer sous les yeux de tous et sans pouvoir parler à cœur ouvert. Tout va changer c’est certain, peut être même qu’il préfèrera habiter ailleurs et qu’il s’agit réellement de la fin de quelque chose qui avait pourtant à peine commencé. Les pensées d’Agnes se bousculent et s’égarent là où elle ne le devraient pas, mais elle tente tant bien que mal de les faire taire. L’américaine ne peut pas se montrer égoïste, pas aujourd’hui. Elle a passé les semaines précédentes à pleurer, seule dans son appartement, refusant l’aide et la solicitude de ses proches, c’est bien assez. Elle a révisé son discours devant la glace et il n’est pas question qu’elle se laisser distraire par ses émotions toujours trop vives. Elle a décidé de se montrer forte et elle s’y tiendra quoi qu’il lui en coûte. Quelques larmes sont un bien maigre prix à payer pour soutenir l’homme qu’elle aime dans ce qui sera sans doute une terrible épreuve.

La rousse est interrompue dans ses pensées par la voix du britannique qui s’élève faiblement pour l’inviter à s’approcher. Les regards tournés vers elle, Agnes s’avance sans toutefois se sentir vraiment à sa place. Elle a tout les droits d’être ici et pourtant le syndrome de l’imposteur ne la quitte pas. Harry est l’une des personnes les plus importante de sa vie, mais leur relation aussi intime soit elle désormais et en parallèle de son mariage chaotique avec Marianne, reste un tabou pour beaucoup, eux les premiers.

- I am. Are you ? I got you a few things. I thought you might get bored here…

Ses mains tremblent alors qu’elle ouvre le sac qu’elle a préparé remplis d’objets, de livres, de vêtements et autre chocolats, son attention stupidement portée sur ce qu’elle est venue faire ici, comme si elle devait faire vite pour déranger le moins possible. Elle finit par réaliser qu’elle en oublie l’essentiel et alors que son regard croise celui de son anglais, elle finit par abandonner sa fixation pour s’autoriser un geste tendre dont il a sûrement besoin lui aussi.

- I’m sorry we can look at all that later,  it’s so good to see you…

Elle aimerait lui dire tellement de choses, mais la présence des autres rend ses épanchement compliqués. Jamais Agnes ne s’est sentie a ce point exposée et inutile. Son regard balaye les branchements et autres moniteurs et l’américaine se demande s’il souffre. L’idée elle même lui est insupportable, mais les mots peinent à franchir la barrière de ses lèvres. Elle n’est pas si douée pour les discours, bien plus efficace dans l’action finalement.

- I’ve missed you…

Ces derniers mots sonnent comme un murmure, et l’américaine n’est même pas certaine qu’ils aient trouvé leur chemin jusqu’à Harry.

Harry a du mal à comprendre tout ce qu’il se passe autour de lui. Le bruit, les larmes, les gens qui s’approchent et qui défilent sans discontinuer. Il a compris qu’il était revenu de loin, que ses proches étaient tristes et terrifiés. Il a compris qu’il ne sentait plus ses jambes et qu’il était difficile de bouger ou de parler - quand il essaye, sa voix est celle d’un autre. Rauque et fatiguée. Comme lui. Le bal incessant autour de lui l’épuise, et de tous ces allers retours il retient surtout les moments où il tombe de fatigue contre un oreiller qui lui gratte la joue. Quand il prend conscience de la présence d’Agnes dans la pièce, il ignore à quel moment elle est arrivée. Il sait juste qu’il est heureux de la voir. Sa chambre est assez spacieuse mais tous les gens s’entassent les uns derrière les autres et il a un peu de mal à respirer. Son cœur cogne contre sa cage thoracique, et son corps lui fait mal, mais il observe la rousse qui marche jusqu’à lui doucement.

Il la laisse montrer le contenu de son sac et il lui offre un sourire, malheureusement incapable de commenter toutes ces attentions qu’elle a eues pour lui. Il ne parvient pas suffisamment aisément à s’exprimer pour ça. Agnes montre le sac mais semble gênée, sans doute par la présence des autres, spectateurs de leurs retrouvailles. 

- I’m glad to see you too. You seem tired…. 

Il tousse un peu, fatigué par l’effort, et pose sa main sur le matelas pour qu’elle l’attrape et lui donne la sienne. Un peu de contact et de chaleur. Il tourne la tête et avise sa mère qui est la à chaque fois qu’il ouvre un œil, les yeux rouges et le teint terne de fatigue et de tristesse.

- Could we have a moment please?

Il soupire et laisse retomber sa tête contre l’oreiller pendant que les autres quittent la pièce pour obéir à son souhait. Il caresse la main d’Agnes, reconnaissant pour cet instant. Il se demande depuis qu’il s’est réveillé s’il risque de mourir - si c’est le cas, il est heureux d’avoir vu la rousse encore. 

- Better?Il demande sans lâcher sa main, alors que la chambre s’est vidée. 

Pour lui aussi, c’est mieux. Il a l’impression qu’il est plus facile de respirer. 

Agnes a l’air fatiguée, et cela elle n’a pas de mal à le croire. Ses soirées en solitaire dans la spacieuse maison dont elle a fait l’acquisition récemment lui laissent tout le temps de penser à un milliard de choses, avant de fatalement trouver le sommeil dans la matinée plutôt que dans la soirée, même bien entamée… Harry lui manque terriblement, et même face à elle, paisible sur son lit d’hôpital, elle a l’impression qu’une vitre glacée les sépare et qu’ils ne retrouveront plus jamais le confort des étreintes plus intimes de ces derniers mois. Agnes n’a pas été épargnée par les mauvaises nouvelles, et si ce n’est pas ce qui compte aujourd’hui, les insomnies et les inquiétudes se lisent aisément sur ses traits. Affairée à informer son ami du contenu du sac, elle est prise au dépourvu par son commentaire et hoche la tête.

- You know I struggle to sleep sometimes…

Les raisons sont différentes aujourd’hui, toujours est-il qu’elle ne peut plus aussi facilement se glisser dans le lit d’Harry pour faire taire l’anxiété qui l’agite souvent avant de tomber dans les bras de Morphée, ou du britannique, pour ce qui est du sens propre. Les regards se posent sur eux et de nouveau Agnes se sent exposée. Harry semble le comprendre et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ils se retrouvent tous les deux. Une fois de plus Harry semble comprendre instantanément les besoins d’Agnes et la rousse cache mal une certaine émotion qu’elle a tenté de camoufler jusque là.

- I’m sorry I won’t take too much of your time with your family… I just wanted to make sure you had everything you needed…-

En réalité, elle voulait surtout le voir éveillé de ses propres yeux et rassurer son cœur, un égoïsme qu’on peut toutefois lui pardonner alors que l’émotion fait trembloter sa voix.

- And see you and talk to you… I’m sorry I didn’t even ask how you were feeling.