Eryn s’engouffra dans la pénombre de la soirée, emmitouflée dans une écharpe qu’elle avait piquée à Marley des semaines auparavant et qu’elle ne comptait pas lui rendre de sitôt. C’était la seule écharpe qui ne lui donnait pas envie de s’arracher la peau du cou, comme si – et elle était persuadée que c’était dans sa tête mais n’arrivait pas à se débarrasser de l’impression – la grossesse la rendait encore plus sensible qu’elle ne l’était déjà. Flemme.

Toute cette soirée ne lui inspirait pas grand-chose de plaisant. Passer du temps avec Adrian Dawkins ne la laissait qu’avec un sentiment mitigé, entre la flemme intense et la curiosité, le combo qui avait finalement régi toute leur relation à l’époque, désolée Adrian. Mais Eryn était tombée nez à nez avec lui un peu plus tôt dans la journée et force était de constater qu’il avait l’air bien plus apaisé et agréable que quand ils sortaient ensemble bien des années plus tôt. Elle aussi revenait de loin, et ils avaient partagé quelques mots presque agréables au comptoir, alors quand il lui avait proposé de revenir à l’heure de la fermeture pour continuer leur conversation, la brune avait accepté.

Que lui était-il passé par la tête, vous vous le demandez sûrement. Well, depuis qu’elle était en arrêt de travail forcé, Eryn s’ennuyait à mourir. Elle descendait à l’Overkill au moins deux fois par jour pour passer le temps, se faisait sermonner autant par ses employés que par ses clients habitués, ne parlons même pas de Marley à qui elle cachait ses visites mais qui finissait toujours par l’apprendre de l’une ou l’autre personne. Souvent, elle traversait la route pour se rendre au Think Coffee et offrir une boisson fancy aux personnes derrière le comptoir – c’était d’ailleurs là la genèse de toute cette soirée, vous l’aurez compris -, bref, ses journées étaient ennuyeuses comme la pluie. La perspective d’une discussion avec son ex avait donc tout de la distraction rêvée, sur le coup. Elle l’était un peu moins avec le recul, maintenant qu’elle avait autorisé l’anxiété à pointer le bout de son nez.

Pourtant, elle n’avait pas reculé. Lorsqu’elle arriva devant l’établissement qui affichait fermé, elle jeta un coup d’œil à l’intérieur par l’une des vitres. Tout le monde avait plié bagages, ne restait qu’une silhouette qu’elle identifia sans peine. Pour ne pas le surprendre, elle toqua doucement à la fenêtre et attendit qu’il se retourne pour s’autoriser à entrer. « Hello again. », souffla-t-elle, visiblement un peu gênée et incapable de déterminer par où commencer. Small talk, elle pensa, et bien que pas enchantée à cette idée et espérant secrètement qu’il change le sujet rapidement, elle demanda : « How was your day ? »

De toutes façons, t'étais avec elle que pour l'argent, avoue. Cette phrase n'avait eu de cesse de tourner depuis qu'il était revenu de Londres et qu'il avait eu le malheur de passer chez ses anciens beaux-parents et qu'il était tombé sur le grand frère d'Elizabeth. Ils ne s'étaient jamais vraiment appréciés, que ce soit Adrian ou le frère et il y avait toujours eu une sorte d'animosité entre eux. Et pour une fois, Adrian avait cédé. Il n'avait pas refuté les propos remplis de haine, furieuse invective dont il avait fait preuve. Il n'avait pas joué au coq, parce qu'Adrian en avait assez. Le barista n'avait pas envie de faire état de ses comptes bancaires à son ancien beau-frère et encore moins de lui prouver qu'il aimait réellement Liz. Pas pour son argent et encore moins pour la célébrité. Il ne voulait plus rien prouver à qui que ce soit, il avait simplement prit la porte et avait décrété qu'il ne reviendrait jamais. Après tout, à quoi bon ? Il était orphelin de père et mère, et la seconde famille qui l'avait accueilli n'en était plus une. Plus rien ne le reliait à personne.

La seule chose qui le maintenait dans un état de semi-constance était son boulot qu'il avait reprit à son retour de Londres, et il n'en était pas moins heureux. Son projet qui germait toujours intérieurement dans son esprit, ouvrir son propre endroit à lui, un jour. Touche à tout, il avait acquérit des compétences qui serait nécessaire à la bonne ouverture de son propre café mais il attendait encore un peu, sauter dans le grand bain était sans doute un peu trop effrayant pour le moment. Mais il avait toujours dit, en sortant de cure, qu'il ouvrirait son café et il savait qu'un jour ça arriverait. Peut-être bientôt, dans six mois, dans un an. Ou peut-être jamais. Il n'était sûr de rien. Ce dont il était sûr, à l'heure actuelle c'était qu'il était prêt à s'excuser auprès de quelqu'un a qui il avait fait du mal. À l'époque. Et la revoir dans le café lui avait fait comme un éléctrochoc. Ils s'étaient quittés en mauvais termes (c'est le cas de le dire) et il n'avait jamais prit le temps de s'excuser pour tout le mal qu'il lui avait causé. Il se faisait autant de mal à lui qu'li en faisait à son entourage et Eryn avait été un dommage collatéral, l'une des premières victime de cette addiction qui lui avait pourri la vie pendant longtemps. C'est bien pour cela qu'il lui avait proposé de revenir quand le café sera fermé, parce qu'il faisait la journée -merci les malades de dernière minute- et il n'avait pas assez de temps de pause pour lui dire tout ce qu'il avait à lui dire. Un état d'anxiété l'avait habité toute la journée et quand elle toqua à la porte pour se signifier, il lui fit signe d'entrer, balançant le torchon qu'il venait de malmener en essuyant le comptoir dans le bac dédié à la lessive.

« hello again to you too. » répondit-il avec un petit sourire en coin avant de s'humidifier les lèvres. Il était incapable de se raisonner et de ne pas se sentir con. Alors que c'était une vieille connaissance qu'il venait de retrouver. Rien de plus. « Pretty good actually, I had to deal with only two karens who were sure that I put dairy milk in their coffee because it tasted weird. Only because they asked for soy milk and I heard them telling that it was their first time. » Il aurait eu envie de leur faire avaler la bouteille de lait. Mais il était resté courtois et avait eu gain de cause, elle ne lui avait pas tenu la grappe pour qu'il refasse leur boisson. Étant short-staffed ça aurait été compliqué de toutes façons. « And you? How was your day ? I hope you didn't have to deal with some Karens. » Il s'arrêta un instant sur son visage et la détailla un peu. Son coeur se serra quand il remarqua son ventre un peu arrondi et il ne dit rien « Do you want a coffee or something ? It's on me. »

Comme prévu, Adrian se lança dans le small talk tête la première, ce qui rassura un peu la brune – elle réussirait bien à trouver de quoi lancer une conversation dans ce qu’il allait raconter et toute cette petite discussion ne serait pas trop bizarre. Et au pire, elle avait toujours la possibilité de couper court pour rentrer chez elle. Elle n’était plus à ça près, avec lui, et ce n’était pas comme si elle s’en empêchait avec n’importe qui d’autre de toute façon. Elle s’engouffra dans le café. Comme souvent dans ce genre d’établissements, le chauffage tournait à plein régime. Ou était-ce elle qui crevait de chaud ? Peu importe, elle enleva son écharpe qu’elle envoya balader sur le dos d’une chaise et ouvrit sa veste, puis reporta son regard sur Adrian. « Fuck’s sake, it’s the same bullshit everywhere. », grimaça-t-elle derrière son sourire en écoutant ses déboires, puis répondit à sa question : « I haven’t, actually. Kinda wish I had, though. » Elle croisa une seconde le regard de son ex et baissa les yeux sur son ventre en même temps que lui. Elle n’avait pas pu le cacher longtemps sinon sous les pulls de Marley. Aujourd’hui, même ces derniers ne suffisaient plus vraiment à dissimuler les traces de la grossesse sur son corps, et pour être honnête, elle ne cherchait plus non plus à le faire. « I’m on forced leave and I hate every second of it. », expliqua-t-elle en haussant les épaules. Si ça ne tenait qu’à elle, elle retournerait derrière son bar et gèrerait toutes les Karen qui auraient l’audace de franchir les portes de l’Overkill. Hélas, elle défiait déjà l’avis des médecins en sortant de chez elle – pardon, de son lit -, elle n’allait pas non plus exagérer. Elle n’était cependant pas venue ici ce soir pour raconter ses déboires médicaux, elle en mangeait suffisamment entre Marley et l’entièreté de son entourage qui lui rappelaient dix fois par jour qu’elle en faisait trop. Pour une fois dans sa vie, seul David semblait comprendre son incapacité à se tenir tranquille, et même s’il s’inquiétait un peu – il était comme un livre ouvert -, il ne lui servait pas de sermon. D’ailleurs, elle n’avait jamais autant communiqué avec son père que depuis qu’elle était (supposément, sic) alitée.

Adrian lui proposa un café qu’elle accepta : « Oh, yeah, uhm, decaf please. » Une autre tragédie. Mais encore une fois, elle n’était pas là pour se plaindre. N’en avait même pas envie. Alors, elle changea de sujet : « You look well. It’s nice seeing you like this. »

Il n'était pas bien sûr d'être prêt pour cette conversation Adrian, parce qu'il l'avait trop imaginé. Il y avait beaucoup penser et maintenant que c'était devenu une réalité, il angoissait. Mais il ne disait rien, tentait de ne rien montrer alors qu'il s'affairait à nettoyer. Mais finalement, la conversation arrivait simplement quand elle était en face de lui. Peut-être parce qu'il n'avait pas envie de supporter le silence. Un rire nerveux s'échappa de ses lèvres quand il l'entendit jurer. Et il leva les yeux au ciel. « You know who pays the piper calls the tune. » répondit-il en riant un peu. Avant que la réalité ne lui saute à la gueule et que son coeur se comprime un peu. Un battement loupé mais il reprit contenance bien vite pour ne pas se laisser emporter par un tourbillon de pensées parasites. « But sometimes, forced leave is the best. You'll be back at work sooner than expected. Pretty sure about that. » Et elle regretterait de ne pas avoir prit le temps de se reposer dès qu'elle en avait la possibilité et elle aurait sûrement envie de retourner à ce moment où elle pouvait faire ce qu'elle voulait, sous couvert de repos. Il s'affaire à lui préparer son décafeiné et lui demanda « Milk ? Don't tell me soy milk please. » Il avait encore le discours de la Karen de l'après-midi et il avait envie de balancer tout ce qui était non-dairy milk mais il n'en avait pas forcément le droit. Malheureusement. Il s'arrêta un instant face à son compliment et se mordilla la lèvre en souriant avant de lui tendre sa tasse et de se servir une limonade. « Thank you. It has been tough. But I'm in peace now. » Enfin, il avait d'autres démons à combattre désormais. « I went to rehab a few months after our break up. And I wanted to apologize for the arse I've been when we were together. » expliqua t-il en prenant une gorgée de sa limonade « I'm pretty sure we would have destroy each other. And now that I see you, healthy and happy, I'm pretty sure it was the right choice to do. »