Wicked game
feat. @Julian Murphy

Ryan était amoureux, vraiment amoureux. Julian était l’homme qu’il n’avait jamais espéré rencontrer. Il aimait son visage, ses jolies mains et son corps, mais il aimait aussi son rire, ses blagues, ses longues tirades théâtrale. Il aimait quand il riait, quand il pleurait, quand il surjouait. Au début, il aimait tout, sans discontinuité. Voilà pourquoi il avait foncé, parce qu’il n’avait jamais rencontré une personne aussi formidable et qui voulait de lui, parce que c’était ça le plus fou dans l’histoire, Julian voulait de lui.

Si Ryan était amoureux, Julian l’était aussi. Julian n’était pas la première personne à faire battre son coeur froid de la sorte, mais il était la première personne pour laquelle Ryan s’était permis d’avoir des sentiments et de les dévoiler au grand jour. Ryan avait été con, mais mignon. Il lui avait chanté des sérénades de sa voix grave - jusqu’à ce qu’une voisine lui renverse un seau d’eau sur la gueule parce qu’elle en pouvait plus de sa voix qui n’avait aucune justesse. Ryan lui avait offert des fleurs, des chocolats et des tas de cadeaux. Ryan l’avait emmené en balade. Ryan avait pris des jours de congés pour Julian, chose qu’il n’avait jamais fait, même pour lui-même. Ryan l’avait présenté à sa famille et ses parents n’avaient pas aimé Julian, parce que Julian était parfait, mais qu’il était un homme. Alors Ryan leur avait ri au nez et n’était pas retourné chez ses parents.

Ryan nageait dans le bonheur, sincèrement. Pour la première fois de sa vie, il avait mis son côté égoïste de côté pour ne s’occuper que du bonheur de l’amour de sa vie. Alors pourquoi, ce matin-là, il s’était réveillé à poil dans le lit d’un homme, au sein d’une chambre d’hôtel luxueuse avec une facture qui dépassait la taille de son corps ? Ryan n’avait pas le moindre indice - sauf un trou dans son compte bancaire et un mal de tête carabiné.

Heureusement, ils avaient pu payer grâce au frère de ce fameux gars et Ryan espérait ne plus jamais les revoir, sauf qu’il savait que sa malchance légendaire ne le laisserait jamais tranquille. Parler de sa malchance, c’était une manière de repousser la faute sur quelqu’un d’autre, sur une entité divine, mais surtout, pas sur lui. Alors qu’en réalité, c’est toujours lui et uniquement lui le fautif.

Cela fait bien quinze minutes qu’il est au pied de l’immeuble, qu’il est devant chez lui incapable d’entrer, parce qu’il sait ce qui l’attend, parce qu’il n’a pas allumé son téléphone depuis la veille et que même si Julian est quelqu’un d’extraordinaire, ils sont mariés depuis un mois à peine, alors peut être bien qu’il aurait mieux fait de le prévenir ou de lui répondre. Sauf qu’il n’a rien fait. Il se rappelle du tout début de la soirée, à l’instant où il a mis son téléphone en mode avion, quand des collègues lui ont proposé d’aller boire une bière alors que Julian lui avait dit qu’ils faisaient une soirée sushi devant la télé. Il avait lu le message et l’avait laissé en vu. Au début, Ryan pensait juste boire une bière et prétexter un rush au boulot. Mentir c’était mal, mais ça va, il n’allait pas rentrer si tard. Sauf qu’il n’était pas rentré. Sauf que la matinée était bien avancée et qu’il était toujours devant la porte. Il n’avait toujours pas rallumé son téléphone. Et il était en train de songer à une stratégie. Vu qu’il avait merdé, il aurait du venir avec des croissants, mais est-ce que ça ne serait pas trop suspect ? Enfin qu’est-ce qui était plus suspect après tout, revenir les mains vides sans rien dire ?

- Merdeeee !,  crie-t-il dans la rue, effrayant une vieille dame et un pigeon.

Il s’en fiche d’eux, mais ça ne l’aide pas vraiment d’hurler, ça ne fourni aucune réponse. Il soupire. Et décide de tenter le tout pour le tout. Il rebrousse chemin et commande le plat préféré de Julian dans son restaurant préféré, ça coute encore une blinde, mais tant pis, il faut au moins ça.

Puis, sans réfléchir à ce qu’il fait, juste en posant un pied devant l’autre jusqu’à leur porte d’entrée, il avance. Il ne songe qu’à la délicieuse odeur qui remplit ses narines. Un pas, après l’autre.

- Hey, j’suis rentré.

Est-ce qu’il pense sincèrement que Julian l’attend sagement dans l’appart ? Est-ce qu’il pense que ça peut suffire ? Mais c’est là tout le problème, Ryan ne pense pas.

Son image dans le miroir lui renvoie la vision des cernes qui habillent ses yeux fatigués. Il n’a pas fermé l’oeil, évidemment. Il a visité tout un tas d’émotions diverses et variées. L’inquiétude était présente aux abords de la nuit, et avec le temps, est devenue de l’angoisse. Il s’est perdu dans ses pensées tumultueuses, luttant avec l’évocation du pire, la terreur d’une catastrophe et les images qui vont avec. Il a toujours eu une imagination débordante, Julian, avec cette capacité à envisager le pire et jamais le meilleur, à visualiser précisément ce qui pourrait se produire si le pire survenait. Les accidents de voiture, les bus qui roulent trop vite, les mauvaises rencontrent, les fous, les homophobes, les catastrophes naturelles, tous ces scénarios défilent, les uns après les autres, dans sa tête, et l’inquiétude croit quand la sonnerie du téléphone ne retentit plus mais qu’il bascule directement sur le répondeur. Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Ryan... Il a entendu ce message des dizaines de fois. Jusqu’à devenir fou, jusqu’à vouloir éclater son téléphone contre un mur pour qu’il arrête de lui dire bonjour. Mais il n’a pas pu - et si Ryan rappelait ?

Mais Ryan n’a pas rappelé. Le répondeur était désormais le seul compagnon de Julian, ça et une bonne vieille angoisse. Pour autant, son instinct lui dictait de ne pas trop s’en faire, et que rien de grave ne pouvait être arrivé. Habituellement, Julian avait un assez bon instinct - seulement voilà, une fois que le soleil s’était réinvité dans un ciel matinal, signant le terme d’une nuit entière passée à attendre dans le vide, Ryan avait bel et bien intérêt à être mort, car aucun autre prétexte valable n’aurait pu le tenir dans le silence et loin de leurs projets de la veille aussi longtemps.

Julian n’est pas jaloux. Il se fiche que Ryan sorte, aille s’amuser, passe la soirée dehors. Dans une certaine mesure, il lui fait confiance. Mais l’absence totale de nouvelle le cloue dans sa stupeur. Est-ce la fin, déjà, de la lune de miel ? Ils ont tout fait tellement vite, tomber amoureux, s’aimer, partir, s’embrasser, se coller, ne plus se quitter, se marier, envoyer chier les rageux, les jaloux, les familles insatisfaites, s’enfermer dans l’appartement des jours entiers. Pris dans la spirale de leur amour à cent à l’heure, Julian en a oublié tous les doutes, les appréhensions, les questionnements sur sa vie, son engagement, son avenir. Il a tout foutu dans un coin de son esprit, changement radical, pour se donner corps et âme à cette nouvelle relation qui fait cogner son coeur dans sa cage thoracique. Mais ce matin, installé dans la salle de bain face à son reflet fatigué dans le miroir, pour la première fois, il a le temps de penser, d’envisager ce qu’il a fait, cet engagement qu’il a pris pour une vie. Est-ce déjà terminé, cet amour qui l’a réconcilié avec l’engagement ? Ou est-il vraiment arrivé quelque chose à Ryan ?

Vers 8h, il se dit qu’il faudrait sans doute qu’il aille au commissariat. Il appelle, avant, et on lui rit au nez en lui demandant de rester chez lui et de revenir dans 72 heures, quand la disparition sera vraiment suspecte. Il travaille vers 17 heures, alors il s’assoit dans le canapé et allume les infos. On ne sait jamais, peut-être qu’il y trouvera quelque chose ?

C’est la porte qui claque qui le sort de ses rêveries. Pas endormi, mais somnolant dans le canapé, il sursaute. Il paie les conséquences de la nuit blanche. La porte est claquée, et une voix s’élève. Julian plisse le front, pas sûr d’avoir vraiment entendu ce qu’il vient d’entendre. Pardon ? Il lui faut quelques secondes pour se mettre sur ses deux jambes, tirés sur son pull pour le remettre en place. Il n’est pas mort, donc. A priori, sa voix ne laisse pas présager qu’il soit grièvement blessé non plus. Il y a donc une autre explication à son silence total pendant près de 12 heures. Voilà que le coeur de Julian s’accélère de nouveau, mais cette fois-ci, ce n’est pas vraiment l’amour qui le fait battre.

Quand la tête de Ryan apparaît dans son champ de vision, Julian se tient droit comme un i face à lui, bras croisés, l’air sombre. Il le toise un instant et prend une inspiration pour éviter de se mettre à hurler.

- Tiens, salut. Je t’attendais pas si tôt !

L’humour est cinglant, mais l’humeur est sombre. Immobile, Julian attend l’explication qui permettra à son coeur de se détendre pour oublier très vite cette nuit d’inquiétude.

Wicked game
feat. @Julian Murphy

Vu la tête de Julian, vu son air très clairement en colère, vu sa position et le choix de ses mots, Ryan est fichu. Bon, en réalité, il n'avait pas besoin de voir Julian pour le comprendre, mais il espérait tout de même que par un miracle impossible, ça passe.

Pourtant, il sent qu'il va devoir se justifier et il a peur de ça, parce qu'il n'a aucune excuse valable, il a juste mis son téléphone en mode avion parce qu'il voulait boire une bière. Et cette bière s'est transformée trop vite en catastrophe. Il déglutit avec difficulté et se rend compte qu'il aurait dû prévoir des excuses, lui offrir quelque chose, n'importe quoi, mais pas juste un j'suis rentré comme si de rien n'était.

Il en est incapable.

- J't'ai pris ça, 
murmure-t-il en signe de paix - qu'il n'a pas le droit de demander - en tendant le paquet qui sent si bon devant lui.

Ryan est prêt à garder les bras tendus le temps qu'il faudra, même quand ses muscles frissonneront et que Julian continuera de le dédaigner. Et il aura raison de ne pas le prendre, de le laisser mariner dans sa propre connerie. Ryan n'a aucune excuses à lui présenter, c'est pourquoi il reste silencieux et qu'il attend. Il se fait l'effet d'un martyr alors qu'il ne doit être qu'un énième connard de plus, comme quoi tout est une question de point de vue.

Finalement, la tension est si pesante que même Ryan - l'inflexible Ryan - n'y tient plus, il dépose les armes et lance un :

- Mais t'as peut être déjà mangé, j'avoue j'y avais pas pensé. Enfin, si t'as pas faim, ça te servira pour ce soir.

Il évite le sujet, il fait comme si de rien n'était parce qu'il meurt de peur de dire la vérité, de dire qu'il a choisi de l'ignorer parce que bon, ça va, ils ont passé leurs trois derniers mois collés à l'autre, donc pour une fois il pouvait faire autre chose ? En réalité, c'était même pas qu'il en avait envie, c'est qu'il n'avait pas pensé. Il avait agi comme s'il était seul, comme il l'avait toujours fait. Sauf qu'il n'est plus seul maintenant et même s'il fait comme s'il s'en fichait, il sait qu'il a blessé Julian et il s'en veut énormément.

Sauf qu'il est incapable d'assumer.
Alors il se tait.

Et c'est sûrement la pire chose qu'il pouvait faire. Mais Ryan n'a pas les codes, il ne sait pas comment arranger les choses. Pour détruire, il est très bon, mais pour réparer, c'est une autre paires de manches. Alors il espère que Julian lui pardonnera ou au moins, il lui expliquera ce qu'il attend de lui.