Cela fait quelques jours maintenant qu’Axel a posé de nouveau ses pieds dans la ville de New-York, ville qu’il était censé quitter définitivement il y a deux ans. Il n’a pas encore prévenu son grand frère, préférant attendre d’être bien installé dans cet appartement qui lui a manqué afin de ne pas l’alerter plus que nécessaire. Mais ses colocataires n’ont pas l’air de vouloir le laisser se reposer et iels l’accaparent déjà pour se rendre dans un nouveau bar de New-York qui fait son inauguration ce soir. Un bar à mocktails… Pas vraiment le genre d’Axel, qui aurait bien besoin d’alcool pour fêter son retour (à son humble avis). Mais soit, il a toujours été le premier à tester les endroits qui attirent les bobos chics de NYC alors pourquoi pas ?
« C’est tout ? » lui balance un de ses colocataires lorsqu’il sort de sa chambre avec sa tenue plus sobre qu’excentrique pour une fois. Axel se contente de lui faire un geste de la main pour lui faire comprendre qu’il s’en fiche un peu de son avis. La moitié de ses fringues se trouvent encore à LA car il est censé y retourner alors il fait avec les moyens du bord.
Le taxi les amène jusqu’au bar et Axel se dit que de l’extérieur, c’est plutôt pas mal. Il y a déjà l’air d’avoir pas mal de monde et c’est plutôt bon signe. C’est la nouveauté qui attire, forcément. Le plus dur sera de garder une clientèle fidèle mais le styliste n’est pas là pour faire un business plan mais pour s’amuser, n’est-ce pas ?
La foule, la musique, les cocktails… euh, mocktails colorés. C’est tout ce dont il a besoin pour se ressourcer en temps normal. S’il ne se sentait pas aussi fatigué.
« Lequel d’entre nous va draguer le patron pour avoir des boissons gratuites ? Il est pas mal en plus. ». Axel rit à la réflexion de son ami, le laissant le tirer par le bras pour se rapprocher. C’est à ce moment-là qu’il se décide enfin à regarder le fameux patron du bar. Et sûrement qu’il aurait dû s’abstenir.
Son coeur semble être à deux d’exploser dans sa poitrine, ses mains deviennent subitement moites et Axel repousse brusquement le bras de son ami. Benjamin. Impossible. Pas maintenant, pas ce soir. Le destin ne peut pas le détester à ce point-là, n’est-ce pas ? Il faut croire que si.
« Je dois prendre l’air. » annonce-t-il de but en blanc. Oui, il doit sortir avant que Ben ne remarque sa présence. Mais à le fixer depuis quelques secondes déjà sans bouger, il faut croire que ce dernier a fini par le remarquer. Axel a l’impression que leurs regards se croisent, mais il préfère croire qu’il y a bien trop de monde pour que ce soit lui en particulier que son ancien amant a regardé à ce moment-là.
Alors il fuit, Axel. Il y a des choses qui ne changent pas, même des années plus tard. La lâcheté incarnée, parce qu’il ne veut pas subir une déception en plus. C’est lui qui a décidé de faire passer sa carrière avant tout, lui qui a abandonné Benjamin quand ce dernier était au plus bas. Il a juste besoin de cinq minutes. Cinq minutes dehors, pour se remettre de ses émotions et affronter son passé. Cinq minutes pour réussir à assumer ce qu’il a fait et faire comme s'il n'avait pas pensé à Benjamin Hampton ces deux dernières années, chaque jour de sa foutue vie loin de lui.

@Benjamin Hampton

Ce serait mentir que de dire que je n'avais jamais ressenti autant de stress dans ma vie. Mais cette fois-ci, c'était différent. C'est une nouvelle ère qui débute, une page qui se tourne. L'aboutissement de mois de travail acharné, l'ouverture de ce bar, c'est l'accomplissement de tout ce temps que j'ai passé à essayer de résoudre des casse-tête logistiques ou administratifs.

J'ai aussi voulu mettre dans mon projet une part de moi. Une part du nouveau moi. Le Benjamin Hampton qui s'est battu et se bat encore contre les problèmes qu'il s'est créé tout seul, mais aussi le Benjamin Hampton qui n'a plus peur. Ou du moins, qui apprend à ne plus avoir peur. Celui qui apprend à être vulnérable. Celui qui apprend à être qui il est. Celui qui apprend qui il est vraiment. J'ai passé ces deux dernières années seul, livré à moi-même pour la première fois de ma vie. Un peu trop seul par moments, j'ai appris que je n'aimais pas la solitude autant que je le pensais auparavant. Je pense aujourd'hui que cette étape, aussi difficile qu'elle ai pu être, était indispensable. Douloureuse. Mais indispensable.
J'essaye d'arrêter de vivre dans les univers alternatifs et de voir la vie avec des "si", parce que ça ne mène à rien. Et sans ces deux atroces années que j'ai vécu, je ne suis pas sûr que j'aurais fini au Lincoln Recovery Center, où j'ai fait de belles rencontres. Je ne sais pas si j'aurais appris des techniques de lâcher-prise -que je ne maîtrise pas encore complètement. Mais j'apprends.

J'aurais aimé devenir un expert en lâcher-prise ce soir, pour pouvoir profiter à fond de cette première soirée d'ouverture du bar. Je suppose que c'est tout à fait normal de stresser, j'espère que tout va se passer comme prévu, que les clients seront au rendez-vous.
Ils mettent un peu de temps à arriver, mais une fois qu'ils sont là, je vois bien que l'idée intéresse et a fait parler, en même temps, il n'y a pas d'autre bar de ce genre dans le quartier. Les gens sont souriants et complimentent la décoration du bar, à laquelle j'ai participé mais on ne peut pas dire que j'ai fait tout le travail. J'ai engagé un duo de décorateurs d'intérieur pour m'aider, et ils ont fait un excellent travail. Le bar est chaleureux, j'ai voulu d'un espace qui change de ce dont j'ai l'habitude. Des plantes, des murs au plafond, et sur chaque table. Une grande vitrine, qui fait entrer la lumière extérieure en début de soirée. L'idée est de se croire dans un jardin, les sièges autour de chaque table sont dépareillés, comme si chaque personne avait ramené quelque chose provenant de chez lui. Le but, c'est qu'il y en ai pour tous les goûts. La musique est forte, un peu trop forte en début de soirée, d'ailleurs, parce que je dois faire répéter aux clients leurs commandes. Alors je demande à ce qu'on la baisse un peu pour mieux s'entendre. Dans le fond du bar, une salle sans enceinte avec quelques tables plus au calme. C'est la salle dans laquelle se passera les groupes de discussions. Mais les gens semblent aimer le style de musique choisi par l'équipe puisque ces sièges restent vacants un certain temps.
Les heures passent, et je suis derrière le bar, accompagné de mes trois employés. Deux prennent les commandes et s'occupent des snacks, et le mixologue qui m'a formé et moi-même nous occupons de préparer les cocktails. Je ne vois pas tous les clients passer, mais il me suffit de lever les yeux vers la caisse pour croiser un regard familier. Un regard que je n'oublierai jamais. Une bouteille de sirop me glisse d'entre les mains et tombe sur le sol. Alors que je m'abaisse pour la ramasser, Joshua, le mixologue me dit. « Laisse la serpillière, je vais nettoyer ! T'as pas pris une seule pause de la journée, tu dois être épuisée ! Prends toi cinq minutes, non ? » A en juger par son regard, mon teint doit avoir blanchit. Je relève la tête pour regarder par dessus du bar et je vois sa silhouette sortir de l'établissement. C'était bien lui. Moi qui pensais ne plus jamais avoir de ses nouvelles, voilà qu'il rentre dans mon bar. Je me dirige à toute vitesse vers la porte d'entrée, le brouhaha des conversations entre clients et de la musique mélangé ne sont devenus qu'un bruit sourd global dans mes oreilles, comme si je venais de plonger sous l'eau. La porte du bar se ferme derrière moi.  « Axel ? » Enfin, tous les bruits autour de moi redevinrent clairs et je fais un pas vers lui.  « Depuis quand ? » Je déglutis. « Depuis quand tu es de retour ? » Et tu ne m'as rien dis, je pense, sans m'exprimer à voix haute cette fois-ci, tu as donc vraiment tourné la page.
Uh, la chance.

Les pensées d’Axel fusent à toute vitesse alors qu’il quitte le bar et s’arrête devant, essayant de retrouver une issue à cette situation le plus rapidement possible. Envoyer un message à ses colocataires pour leur dire que finalement, il ne sent pas bien et qu’il rentre en taxi ? Cela peut sembler crédible après tout, même s’il allait bien jusqu’à présent. Axel sort alors son portable de sa poche et cherche un Uber à proximité de lui. Et alors qu’il s’apprête à valider sa demande, il y a cette voix bien trop familière qui retentit à ses côtés. Qu’est-ce qu’il est censé faire, au juste ? Lui faire son plus beau sourire, lui montrer sa nonchalance habituelle, cacher ses émotions ? Continuer de faire semblant encore et encore.
Parce qu’il n’a pas envie d’avouer qu’il n’est jamais passé à autre chose, Axel. Il a pourtant connu des aventures à Los Angeles, des aventures qui n’ont jamais mené bien loin car il n’a jamais réussi à s’attacher… à aimer, au point de s’autoriser à perdre le contrôle. C’était ennuyeux, fade, sans grand intérêt. Pas comme avec Benjamin. Alors il décide de prendre son courage à deux mains et d’affronter son regard avec le sourire le plus faux qu’il a en stock. Sourire sans éclat, qui ne reflète rien.
« Serait-ce M. Hampton en personne ? Ca fait longtemps ! » qu’il répond comme s’il n’avait pas revu un vieil ami depuis des foutues années. Dicaprio serait jaloux de son jeu d’acteur à cet instant, Axel en est certain. « Oh quelques jours à peine, je suis en... vacances. ».
Deux années plus tôt, Axel n’aurait pas hésité une seule seconde à tout balancer à Benjamin, à chercher son soutien comme ce dernier avait besoin de lui. Mais plus maintenant. Il n’est pas prêt à avouer à qui que ce soit à quel point il a la tête sous l’eau et qu’il ne sait même pas par quoi commencer par s’en sortir.
« Tu as l’air d’aller bien. » ajoute-t-il et cette fois-ci, il est sincère. Benjamin semble en meilleure forme que la dernière fois qu’ils se sont vus en tout cas. Pas de nouvelle alliance au doigt – et Axel se déteste pour avoir cherché ce détail. Cela ne veut strictement rien dire après tout. « Félicitations pour le bar. Original comme concept. Cela veut dire qu’on ne partagera plus de bouteille de vin ensemble ? »
Axel a vu Benjamin plonger dans l’alcool sans l’en empêcher, buvant avec lui à chaque occasion et s’est barré sans retour en arrière. Il se rappelle de chaque bouteille de vin partager à deux, d’une autre bouteille qui s’ouvrait et ainsi de suite. De toute façon, ce n'est pas comme s'ils allaient partager quoi que ce soit de nouveau ensemble après tout.