Tu n’as jamais compris la tradition des jeudis soirs étudiants. Sur le principe, t’es grave partant pour une soirée, mais pourquoi spécifiquement le jeudi ? Pourquoi faudrait-il attendre d’être dans le parfait entre deux de début à fin de semaine pour se la coller et profiter de ceux qu’on aime ? C’est étrange, quand on y pense. Toi, tu ferais bien ça tous les soirs de la semaine, mais ni ton emploi du temps ni ton métabolisme de trentenaire ne te permettraient de telles frasques. Alors à ton plus grand regret, tu subis. Et malgré ton incompréhension de cette soirée spécifique marquée dans tous les agendas, y’a bien longtemps que tu t’es rangé à la majorité. D’abord pour faire comme ton frère, que t’as suivi au Wood Sheld sans doute beaucoup plus que ce qu’il aurait préféré. Puis pour faire comme tes potes… et depuis quelques mois maintenant, parce que c’est maintenant toi, qui organises les soirées au Wood Sheld, depuis le départ de Matty vers d’autres horizons. Heureusement, tu n’es pas seul, pour faire tourner la maison. Autour de toi, t’as une équipe en or, sur qui tu sais que tu peux compter et qui t’aide à faire en sorte que tout roule suffisamment pour ne pas avoir à stresser, du moins pas de trop. A comprendre ici : suffisamment pour que tu puisses garder ton job en parallèle sans que le sheld ne se transforme en champ de ruines pendant ton absence. Et puis il y a aussi Lili, qui s’est énormément investie ici depuis son arrivée à New-York. Ça t’a d’abord surpris, tu ne l’aurais jamais imaginée faire de la batterie, elle et sa petite bouille de lutin malicieux, ses joues de bébé et ses grands yeux qui lui donnent un regard d’enfant malgré sa vingtaine passée. Aujourd’hui, tu vois plus le sheld sans elle, encore moins sans vos battles de batterie : t’as enfin l’impression d’avoir trouvé une adversaire à ta taille. Et puis ça amuse les clients. Vous faites le show, ça ramène la clientèle. C’est tout bénef.

T’es arrivé un peu plus tôt qu’à l’accoutumée ce soir. T’as tenu à vérifier le moindre détail de la soirée, de son organisation à la mise en place de vos batteries pour plus tard, si le coeur vous en dit : si votre petite compétition est en partie devenu l’un des points forts de la salle, ça n’a jamais été une obligation ni pour elle, ni pour toi. Si l’un d’entre vous n’en avait pas envie, alors ce serait reporté, voilà tout. Mais ce moment n’est jamais venu.

Une fois les derniers préparatifs rôdés, tu te permets une pause au bar. Tu te sers une bière que tu sirotes, appuyé sur le zinc, face à l’entrée, prêt à accueillir vos premiers invités de la soirée. Tu vois déjà le premier groupe pointer le bout de son nez et te saluer, rapidement pris en charge par l’un de tes collaborateurs. Tu iras leur souhaiter la bienvenue un peu plus tard, tu préfères les laisser prendre leurs marques. Et puis c’est pas eux, que tu attends. A vrai dire, c’est l’arrivée de Lili, que tu guettes depuis quelques minutes maintenant : t’as l’impression que ça fait une éternité.

Même si tu le voulais, tu ne raterais une de ces soirées pour rien au monde. Déjà, parce que depuis le départ de ton frère, t’en es l’instigateur. Et ensuite, parce que tu aimes l’énergie qui se dégage des lieux, des rencontres que tu fais au Wood Sheld. Si au départ, t’avais suivi le grand pour une simple question de curiosité, il faut dire qu’aujourd’hui, tu comprends, toutes les années qu’il a pu passer ici, avec ses amis, à s’investir plus que de raison, presque au détriment de sa scolarité. Enfin ça, tu le crois pas. Mais tu l’as tellement entendu à la maison que consciemment ou non… c’est rentré.Et surtout, t’as bien fait attention à pas faire la même erreur : le sheld, t’en as parlé à ta mère une fois tes études terminées et à en juger par sa réaction, t’as fait le bon choix. Heureusement, t’en as pas grand-chose à faire : t’es majeur et vacciné, fin de l’histoire. Pour toi, ça n’a jamais été un sujet. Simplement une bonne raison de continuer la batterie et de continuer à t’amuser comme tu le fais. Et puis… il y a Lili. Et que tu le veuilles ou non, c’est quand même une sacrément bonne raison pour continuer, et surtout ne pas lâcher : car ce n’est pas seulement ton égo, qui prend, lorsque vous vous affrontez et que tu perds. Entre vous, le pacte est simple : celui qui perd laisse le groupe adverse gagner du terrain sur les bars alentour. Et si ça n’a toujours été que de l’amusement bon enfant entre vous, t’as pas pour autant envie de devoir jouer dans des garages pour le restant de tes jours. Tu souris en la voyant arriver et tu arques un sourcil, reposant ta bière « tu parles. J’me mets surtout un handicap, tu sais que j’suis le meilleur de nous deux. Mais… pour cet affront... » t’attrapes une écocup que tu remplis de bière « tu subiras la même sentence ! Comme ça, pas de jaloux ! » tu ricanes et viens trinquer avec elle, sortant finalement de derrière le bar pour la rejoindre « à ta santé blondie ! Prête pour le show ? » que tu demandes, un sourire en coin : parce que votre petite guéguerre amicale, c’est surtout ça : un show qui ramène des derrières au Sheld. Et tu vas clairement pas cracher dessus.

Tu ricanes lorsqu’enfin, Lili comprend ton sous entendu à peine masqué. Bien entendu, tu ne penses pas un mot de ce que tu dis, mais sa mine vexée te fait rire. Tu lui tires la langue ricanes, reprenant une gorgée de ta choppe. T’es satisfait de la voir dégainer ses baguettes. Les tiennes ne bougent pas d’un pouce, tu les gardes au chaud, dans ta poche arrière. « je savais que je pouvais compter sur toi. » tu ricanes et observes la salle en t’étirant « on dirait que ça commence à se remplir… ça te dit, qu’on aille les saluer ? » tu lui tires la langue « ne sois pas si confiante, Lili. Tu risquerais d’être déçue. » tu éclates de rire et la rejoins de l’autre côté du bar, ton bras passant autour de ses épaules, le plus naturellement du monde. Casquette en arrière vissée sur le crâne, tu lances déjà quelques signes de tête à certains habitués que tu reconnais, d’autres venant te gratifier d’un check. A l’inverse de certains, t’as aucune envie de jouer les rivaux en dehors de la scène. Tu laisses ce petit jeu à d’autres, pour qui ça marche très bien, niveau marketing.

Compter sur elle ? Alors ça, c’est la meilleure. Tu éclates de rire, te redresse d’une posture désinvolte et t’arques un sourcil clairement incrédule. « toi ? Mon faire valoir ? Hey, laisses moi rire deux minutes, tu veux ? » tu lui tires la langue. Tu sais pertinemment que ces derniers temps, elle a gagné beaucoup de points. La première fois, tu l’avais laissée gagner : par galanterie, que t’avais prétexté à tes potes. Mais perdre l’exclu sur trois bars… on n’appelait pas ça de la galanterie. T’avais été mauvais et elle, particulièrement talentueuse. Tu murmures, taquin, de sorte à ce que seule elle puisse t’entendre « prends pas trop la confiance Miss Newton. J’t’ai préparé un truc… particulier, pour ce soir. » tu ricanes. T’as cherché toute la semaine des rythmes en dehors des sentiers battus, du genre qui pourraient au moins la destabiliser ; au mieux… te permettre de récupérer un bar. Tu t’avances au milieu des gens, une main dans la poche, l’autre sur l’épaule de Lili. Tu salues tes invités et tu te mets à rire « t’as tout compris. Ma bonté me perdra ! » tu prends un air malin puis vérifies l’heure sur l’écran de ton portable « j’crois qu’on devrait se mettre en place. » que t’as proposé, en voyant les membres de ton groupe s’impatienter. Pas que t’en aies quelque chose à faire de les faire attendre : ils commencent à le connaître, ton petit manège… Ce que tu ne ferais pas, pour rester un peu avec Lili !

« moi ?? ton faire valoir ? » t’en reviens pas de ce que tu viens d’entendre. Tu connais Lili, elle est loin d’être stupide. Elle sait le poids des mots. Ça ne peut donc être qu’ironique ! Tu réprimes un rire « oh, come on ! C’est encore plus drôle ! Mais… force est de constater qu’enfin tu me juges à ma juste valeur. Merci, Beth ! » tu lui adresses un clin d’oeil et lui tires la langue, moqueur, avant d’ajouter : « prends pas trop la confiance, tu veux ? Si j’étais toi, je me méfierais. Tu ricanes et lèves les yeux au ciel : ton sourire ne quitte pas ton visage et tu te contentes d’hausser les épaules [b] « ok ! Tu l’auras voulu. On va voir qui va pleurer, ce soir. Spoiler alert… ce ne sera pas moi ! Mais j’ai des mouchoirs dans ma loge ! » tu lui adresses un clin d’oeil malin et d’un ton d’aveu, tu hoches la tête « j’peux te le dire puisqu’on est pas encore en battle, mais… j’suis fan de toi, moi aussi. » cette fois, aucune raillerie, ni dans ton regard, ni dans le ton de ta voix : t’es sérieux. Lili t’a toujours impressionné : sa persévérance, son talent, cette fragilité dont elle a su faire une force ; tout en elle te touche et te rappelle chaque instant que tu as fait le bon choix, de la choisir elle, comme partenaire de show : tu n’en changerais pour rien au monde. Tu pars saluer les membres de ton groupe et te retournes tout sourire en entendant la proposition de la blondinette « je dis jamais non à un verre. Celui ou celle qui perd paye sa tournée à l’autre ! » tu lui adresses un clin d’oeil et bien vite, finis accaparé par ton groupe. Derniers préparatifs, vous partez en loge : cette fois t’es bien décidé à lui en mettre plein les yeux.

« Nichols ?! » erk. On ne t’avait pas appelé ainsi depuis le lycée. Enfin, mis à part les personnes dont tu n’es pas proche, bien sûr. Tu grimaces. Si t’étais Happy, t’aurais pu te poser la question : est-ce qu’elle t’a appelé ainsi parce que tu l’as appelée Beth ? Très probable. Malgré tout, mais t’es pas du genre à te prendre la tête plus que de raison : tu passes outre, lui adressant un regard faussement meurtrier, et finalement, lui fais savoir « on m’a pas appelé comme ça depuis mes seize ans, Newton ! » que tu lances amusé tu lui adresses un clin d’oeil. T’es surpris qu’elle vienne poser sa tête sur ton bras, et en même temps, ça ne te choque pas plus, le temps passe, l’affection reste. Sans doute pour cette raison, d’ailleurs, que t’as fini par, instinctivement, la serrer contre toi. Tu lâches ton emprise à peine perceptible tant elle a été de courte durée, et tu la laisses partir vers sa bassiste. Tu le sais, elle ne t’aime pas particulièrement, encore moins votre petit jeu. Tu lui adresses un sourire. En réalité, tout ce qui t’importe, c’est qu’à chaque battle, t’as cette impression que quelque chose se renforce. Vous aimez ce qui se passe, tu le sais, chaque battle vous arrache un air ravi, de ceux que vous aviez, le peu de temps où vous êtes restés ensemble. Tu la laisses rejoindre son groupe et fais de même avec le tien, tandis que vous vous installez finalement sur scène. Rapide signe à Lili, tu hoches la tête, signe à ton groupe que, quand tout le monde sera prêt, tu l’est aussi : il te tarde de commencer !

Tu arques un sourcil, moqueur. Il est loin, le temps des retenues, tant pour elle que pour toi. Même bien plus pour toi, en fait. Tu ricanes et hausses les épaules avant de constater « comme quoi finalement… on a une thématique commune ! » tu éclates de rire, moqueur que tu es, et tu lui tires la langue « ça dépend de toi… p’t-être que oui, p’t-être que non ! » tu réprimes un rire sans souligner que sa phrase était quand même sacrément à double sens et tu finis par repartir te préparer avec ton groupe. T’es gonflé à bloc, ready comme jamais et comme à votre habitude, c’est une bataille sans merci qui se trame devant les yeux amusés et admiratifs de certains dans la salle. Tu sais pas comment mais pour une fois, t’as gagné. Tu files en loge, te change, bois l’équivalent des chutes du Niagara, et tu retrouves ensuite Lili. « j’t’avais dit que je t’avais préparé un truc dément. » que tu te contentes de lancer avant de lui adresser un clin d’oeil « on y va ? J’crois qu’on avait un verre sur le feu, non ? »