Tout ça, c’est de la faute de Sloane Baines en personne. Car si elle ne l’avait pas banni de son application de rencontre, alors il ne serait pas seul assis sur cette chaise, dans un des restaurants les plus huppés de New-York à attendre son date… Enfin « date » est un grand mot. De base, il avait réservé cette table en avance pour Evie et lui, puis suite à leur rupture, comptait utiliser la réservation pour une autre femme. Mais pas Aud. Oh, il ne l’a pas invité pur rien non plus. Il sait bien que la soirée se terminera avec elle de son côté, et lui de l’autre. Mais au moins, il passera une bonne soirée à ses côtés. Enfin, c’est surtout que Jun est incapable de prévoir comment un moment avec Aud peut se terminer. Déjà, faudrait-il qu’elle daigne d’arriver. Cela fait maintenant dix minutes qu’il attend, seul, alors que l’un des serveurs le guette. Sûrement que ce dernier est déjà prêt à raconter l’anecdote hilarante d’un pauvre type qui s’est fait poser un lapin à un restaurant où il y a des mois d’attente pour avoir le droit d’y goûter les mets. Il perd patience, Jun. Il n’a pas l’habitude à ce qu’on le fasse attendre – mais c’est Aud. Il lui envoie quand même des sms, histoire de savoir si elle est toujours en vie. Ou plutôt pour se plaindre mais hé, c’est presque la même chose non ? Quoi qu’il en soit, il essaye de ne pas paraître désespéré face à cette situation.
Puis il voit une jeune femme entrer dans le restaurant et observe d’abord cette magnifique robe qu’elle porte… puis son regard finit par se poser sur le visage de cette dernière. Aud ? Pas vraiment habitué à la voir habiller de cette tenue, même lorsqu’elle était chez les Hortense. Il a presque envie de rire, tant la situation lui paraît improbable. Et alors que le serveur l’amène jusqu’à la table, Jun se lève pour l’accueillir comme il l’aurait fait avec n'importe qui d’autre – même Sloane.
« Tu es superbe. » qu’il lui lance avec un bref sourire, avant de se rassoir et de laisser le serveur faire son baratin sur la carte des vins tous hors de prix. Pas un problème pour Jun, il savait d’avance en invitant Aud qu’il allait raquer et qu’elle n’allait pas se gêner pour prendre les plats les plus chers. Dès qu’il part, il reprend néanmoins : « C’est le premier et dernier compliment de la soirée, vu la manière dont tu m’as fait poiroter. »
Pas comme si Aud était là pour se faire complimenter de toute façon. Non, elle est là pour son porte-monnaie et certainement son agréable compagnie (enfin, il espère un minimum sinon il va vraiment finir par avoir l’impression d’être un sugar daddy plus jeune que prévu).
« Mais merci d'être venue. » qu'il ajoute, incapable de faire la tronche plus de trente secondes. Sans Aud, il serait en train de ruminer chez lui à l'idée de rater ce superbe restaurant de bobos. « Elle vient d'où cette robe ? Tu l'as volé ? »
Il ricane, Jun, loin d'être sérieux dans sa question. Sûrement quelque chose qui traînait dans sa garde de robe de chez les Hortense.

Un peu de rose sur les joues. Un peu de gloss. Elle se regarde dans le miroir et ressemble sincèrement à une poupée de cire. Qu’elle idée d’accepter un repas avec Jun Goode alors même qu’elle n’est que la roue de secours. Et dès que son téléphone vibre, elle se rappelle que c’est tout ce qu’elle est, une bouche trou pour le jeune homme. Franchement, si elle n’avait pas envie de manger du homard végétarien et boire du champagne à l’œil, elle ne se serait pas laissé avoir comme ça. Elle n’aurait jamais accepté d’être traitée ainsi. Une roue de secours… et puis quoi encore  Enfin, elle croit avoir fini la dernière retouche. Il semble que ses cheveux soit suffisamment lisse et bien remontés. Elle se tourne et voit le prochain accessoire de torture, celui qui va très certainement lui causer au moins 15 minutes de retard, elle le sait.
Les petits escarpins sont sortis de leur boites, luisant neufs, étiquette encore accrochée. Pourtant pas très haut, elle les regarde avec un air suspect. Minjae lui a pourtant bien rappelé. Talon en premier, puis on rabat jusqu’à la pointe. On se tient droite, le menton bien droit et tout devrait bien se passer. Il a aussi dit qu’il ne comprenait pas comment on pouvait être si mal à l’aise sur des talons. Et elle devait reconnaître qu’il avait raison. Enfin, intérieurement, elle lui avait oralement assuré qu’elle ferait fureur et comptait s’y tenir. Même si, concrètement, le passage par le métro est des plus dangereux quand on gagne en centimètres. Elle se demande comment les gens font pour être si léger ? Elle manque de s’étaler à plusieurs reprises, même une petite vieille la retient de chuter dans les escaliers. La honte. Quand finalement, elle arrive à destination, elle s’dit qu’il n’y a pas moyen qu’elle ait l’air d’avoir frôlé la mort juste parce qu’elle a pris quelques centimètres. Aussi, dans le reflet de la vitre, elle vérifie sa tenue en vitesse. Hormis quelques mèches rebelles, l’ensemble a bien tenu. La Robe est toujours en place. Elle aurait presque l’air décente si le bout de tissus n’était pas si court. Elle souffle, c’est l’heure d’impressionner tout le monde. Ca fait bien longtemps que le homard n’a pas été au programme, parfois, la famille, ça lui manque.

Elle trouve tout de suite Jun des yeux et peut pas s’empêcher d’avoir l’air encore plus grande qu’elle ne l’est, le menton bien pointé. Pourtant, elle a déjà grandi un peu. Attendez, est-ce qu’il se lève ? Pour elle ? Aud avait oublié les manières, comme quoi, un an loin de tous ces apparats s’oublie si vite, mais ça l’empêche pas de sourire quand il lui dit qu’elle est superbe. Ca a beau ne pas être un date, elle se sentirait pousser des ailes ! Sauf que ça ne dure pas, puisque Mr Goode se plaint déjà de son arrivée tardive.
« heu pardon, tu t’appelles comment ? Je te signale que je viens combler le vide laissé par ton ex ou par toute autre mijaurée sur ton appli de rencontre. Je me souviens même plus. »
Elle s’assoit immédiatement, l’air boudeur, les bras croisés, bien décidée à ne plus lui adresser un sourire. Son merci ne passe pas, c’est comme une crevette avariée. Ew. Mais qu’il ricane, le bougre, parce qu’il a touché dans le mille. La robe si merveilleusement bien portée ne lui aura que peu couté. Le prix d’un ciseau pour couper l’étiquette et de deux aimant glissés dans un sac pour défaire l’anti-vol. Franchement, pour une boutique de luxe, leur sécurité était à revoir.
« Ce n’est pas exclu… » qu’elle minaude sans vraiment le regarder.
Pour tout dire, elle sait déjà qu’il va lui faire la morale. Elle l’anticipe de tout son petit corps, tendue comme un string. Qu’elle n’a certainement pas eue l’idée de porter, au profit d’une de ses vieilles culottes dites de grand-mère. Qu’il ne se fasse pas d’idée, elle est venue là pour la nourriture, rien de plus. Et éventuellement pour revoir Jun dans un état d’ébriété qui le rendrait plutôt mignon.
« On boit quoi, sinon ? »
L’art de passer du coq à l’âne est une maitrise absolue qu’elle a peaufiné aux repas de famille pour tenter de faire passer la pilules de toutes ses frasques. Vraiment, elle mériterait une médaille de diamant.

@jun goode

Jun tente de garder son sourire – même lorsqu’Aud lui rappelle qu’il l’a invité uniquement parce que la personne qui aurait dû venir à sa place ne fait plus partie de sa vie. Mais c’est un sourire clairement crispé et un peu gêné d’être mis face à la réalité. Il n’aurait jamais eu l’idée d’inviter Aud dans ce genre de restaurant auparavant, car c’est le genre d’endroit qu’il garde normalement pour un date de qualité. Et avoir un date avec celle qui se rapproche le plus de sa cousine pour lui qu’autre chose, non merci. Tout comme il se doute bien qu’elle préfèrerait aller dans ce genre d’endroit avec un autre sugar daddy beaucoup plus intéressant que lui, mais soit. Il lui a proposé, elle a accepté, et voilà.
« Excuse-moi de faire des réservations six mois à l’avance, de quitter mon ex, et de me faire bannir de mon appli en un rien de temps. » qu’il réplique en faisant un signe de la main comme s’il n’en avait rien à faire. « Mais tu étais tout de même la première sur ma liste, ça compte non ? »
Le bougre essaye de se rattraper comme il peut. Mais quelle liste, au juste ? Jun aurait pu demandé à n’importe laquelle de ses followeuses qui squattent ses messages d’Instagram de manière très gênantes mais il préfère largement la compagnie d’Aud qui ne le ménagera pas et qu’il apprécie réellement – oui, malgré ce qu’elle peut lui balancer dans la tronche parfois ce qui arrive plus ou moins à lui remettre les pieds sur terre de temps en temps.
« Comment ça, ce n’est pas exclu ? » qu’il répète en baissant le ton de sa voix instinctivement. Jun roule des yeux et rit un peu, croyant sincèrement que son amie le fait marcher. Et il ajoute, toujours sur le ton de la plaisanterie : « Je ne payerais pas la caution si les flics te poursuivent, Smith. ».
Sauf qu’il sait au fond de lui, que ce n’est peut-être pas que de l’humour de la part de la jeune femme. Mais Jun préfère croire que oui, pour ne pas s’étouffer avec son verre encore vide d’alcool…
« Qu’est-ce que tu penses d’une bouteille de vin de Bourgogne ? » lui demande Jun, tout en regardant la carte des vins dont les prix sont totalement exorbitants et carrément indécents pour toute personne n’ayant pas le même compte en banque que l’influenceur de pacotille. « Je te laisse choisir, mais si tu peux éviter au-delà des 5 000 dollars la bouteille, ça m’arrange. »
Non pas parce qu’il n’a pas les moyens et qu'il a décidé de jouer le rat tel un colocataire de Smith, mais parce que Jun essaye de se donner bonne conscience de temps en temps. Depuis qu’il a décidé de mettre un pied dans une association pour aider les plus démunis, il tente de se servir de son argent pour la bonne cause. Tenter est un bien grand mot en sachant que mettre 5000 dollars dans une bouteille de vin reste une décision totalement stupide.
En même temps, il se doute bien qu'Aud ne va pas se gêner pour prendre les plats les plus chers et en profiter. Mais peut-il réellement lui en vouloir, alors que c'est lui qui l'a invité dans cet endroit ?