tw: accident de voiture
warning général (en cas de sensibilité au sujet) : Harry est handicapé et se déplace à l’aide d’un fauteuil roulant

Harry était réquisitionné ce matin pour une masterclass de trois heures à Julliard. Quand c’est comme ça, l’école lui porte assez d’estime pour lui envoyer un taxi en mesure de venir le chercher et de le transporter avec son fauteuil et qui le ramène chez lui ensuite - enfin, chez Agnes, où il habite depuis qu’il est sorti de l’hôpital, après l’accident. Aujourd’hui, il a demandé au chauffeur de taxi de le déposer en bas de l’immeuble où se trouve le sushi lab, puisqu’il a prévu d’y retrouver Alice pour un déjeuner. Ensuite, il n’aurait plus qu’à rentrer écrire un peu. Alice doit être en pleines répétitions pour Wicked - et Harry n’est pas peu fière de son amie pour ça d’ailleurs - mais elle trouve encore le temps de venir lui rendre visite de temps en temps. Et si Harry sait qu’Alice n’est pas la fan de première heure la plus fidèle d’Agnes, il a quand même besoin de parler avec son amie de ses découvertes récentes et de ses interrogations. Arash s’est gentiment foutu de lui comme s’il lui parlait d’une évidence et qu’il était idiot - les deux frères aiment se traiter de la sorte - mais au final, la conversation ne l’a pas suffisamment conforté. Alors il se tourne vers Alice - en espérant qu’elle puisse mettre sa distance naturelle envers Agnes de côté pour l’aider à y voir plus clair.

Entre Alice et Harry, les choses n’ont jamais vraiment changé depuis qu’ils se sont rencontrés, malgré le mariage puis le divorce de son amie avec son frère. Harry adore Alice, il adore ses neveux et nièces, et il a fait son possible - une fois cuvée sa mauvaise humeur et son traumatisme après l’accident - pour que les choses demeurent neutres entre eux.

Une fois arrivé en bas, il emprunte l’ascenseur pour monter et se laisser guider jusqu’à la table qui leur est réservée - Alice est déjà là, alors qu’il n’est même pas en retard, plutôt pile à l’heure. Il lui offre un sourire et s’approche en lui ouvrant les bras - les gens ont eu du mal à s’habituer au fait qu’il ne pouvait plus se mettre debout, il a appris les codes autorisant ses interlocuteurs à s’approcher, et l’habitude a fait le reste.

- Je suis content de te voir, avec les répétitions de ton côté et les cours du mien, j’ai l’impression qu’on a plus une seconde pour nous. Tout va bien ? Comment ça se passe ?

Il s’installe à sa place où la chaise a été retirée sans se départir de son sourire. Elphaba est un rôle à la hauteur d’Alice, parce qu’Alice est remarquable, et Harry en sait quelque chose, car son snobisme naturel le rend intransigeant quand il s’agit de juger les instruments des gens.

- Je t’ai déjà dit à quel point j’étais fier, pas vrai ?

Alice fronce les sourcils en arrivant devant la table du restaurant. Elle a appelé à l'avance, elle a réservé, elle a stipulé les aménagements nécessaires avant d'arriver. Elle n'aime pas faire sa Karen, mais quand il s'agit d'obtenir gain de cause pour Harry, elle n'a aucun mal à héler un serveur et lui demander d'un ton un plus froid que nécessaire de retirer la chaise, comme elle avait demandé lors de la réservation. La jeune femme connait bien son ami et sait qu'il n'aime pas ce genre d'attention et que l'on s'accommode pour lui, qu'elle fasse des histoires. Mais c'est la moindre des choses et ce n'est vraiment si compliqué.

La brune s'installe donc avec un léger soupir, jetant un œil sur son téléphone pour constater qu'elle est en avance. Une fois n'est pas coutume. Cela dit, reprendre le rythme de Broadway lui fait du bien. Après une longue période d'auditions infructueuses, quelques cours de chant, revenir aux sources est un immense plaisir. Et elle revient en beauté, avec un rôle iconique, qu'elle a toujours rêvé d'incarner. Les répétitions sont rudes et les heures qu'elles passent juste avec l'équipe de maquillage sont longues. Mais c'est ce qu'elle veut et elle est prête à faire des efforts pour l'obtenir. Y compris accorder une deuxième chance à son inconscient d'ex-mari, qui doit d'ailleurs récupérer les jumeaux après l'école. Car elle doit retourner au théâtre après ce déjeuner, qu'elle ne manquerait cela dit pour rien au monde.

Harry arrive bientôt, pile à l'heure lui. Avec un large sourire, la jeune femme l'enlace « Mais oui, ça fait une éternité, je suis trop contente de te voir ! Et écoute ça va, ça m'avait manqué. Je sais que ça fait pas si longtemps, mais avoir un vrai rôle principal, ça prouve que je peux encore le faire. Et ça fait du bien et pas qu'à l'égo. » Elle rit un peu, tandis que son ami prend place à la table et son compliment la touche plus qu'elle ne saurait le dire. Alice serre légèrement sa main, essayant de témoigner sa reconnaissance dans un geste, si ce n'est par ses mots un peu banals. « Oh Harry. Merci, vraiment. Moi aussi je suis fière. Je sais que ça fait mauvaise genre de le dire, mais à toi je peux. » Avec un nouveau sourire, elle ajoute. « Et toi alors, quoi de neuf? » Après tout, pas le temps à perdre à se pâmer sur ce qu'ils savent déjà. Ils ont peu de temps et plein de choses à se raconter. Et ce serveur ferait bien de refaire son apparition d'ailleurs, il ne manquerait plus qu'ils les interrompent une fois lancés.

C’est vrai qu’ils ne se sont pas vu depuis longtemps, et Harry n’est pas toujours le meilleur à garder un contact récurrent. Avec Alice, il sait que même s’ils ne s’écrivent pas tous les jours, ça n’aura pas de réelle importance la fois où ils se retrouveront. Mais sa sale manie de ne jamais charger son téléphone ou de toujours l’oublier dans des endroits improbables est beaucoup plus dérangeante pour de nombreuses autres raisons - la gestion de ses étudiants, ses autres amis, et évidemment, Agnes. Mais c’est un autre sujet. Alice revient de loin, en tout cas, et c’est sans doute en partie à cause d’Arash - et donc un peu à cause de lui. Harry se sent responsable, au moins en partie, de ce qui est arrivé à son frère et par définition de ce qui est arrivé à son couple. Il aurait préféré qu’ils restent mariés et que les choses ne soient pas aussi compliquées, mais la vie en a décidé autrement, et il n’a rien pu y faire. A l’époque, de toute façon, il était trop fragile, et trop centré sur lui-même pour tenter de faire quoi que ce soit.

- J’imagine bien que ça t’avait manqué. Et quel rôle ! Mais tu vas les éblouir, je le sais. Ce rôle est fait pour toi.

Harry sourit et serre un peu sa main. A lui aussi, la scène lui manque. Il aimerait oser, mais Harry a mis sa vie entre parenthèse depuis l’accident, accroché un peu trop solidement au jour où il pourra remarcher, bien qu’il n’y ait absolument aucune certitude sur la survenance d’un tel évènement.

- On s’en fout de ce qui fait bon genre ou mauvais genre. Tu as décroché ce rôle en travaillant, et parce que tu es talentueuse et que tu as la voix pour. Evidemment qu’il faut être fière ! Ce qui ferait mauvais genre, c’est de ne pas l’être.

Il sourit et hausse une épaule, Harry n’a jamais été du genre à faire de la fausse modestie. Oui, il a décroché des rôles, et il a passé du temps sur scène, mais tout ce qu’il a fait dans sa vie, il n’a pu le faire que grâce à un travail acharné qui continue aujourd’hui encore. Il ne se retirera jamais ça.

- Ecoute moi, rien de bien nouveau. J’écris, je compose, j’enregistre, et Agnes est rentrée de Londres.

Il regarde Alice, un peu suspicieux. Pour une raison qu’il a du mal à appréhender entièrement, les filles ne s’entendent pas très bien. Et comme Agnes fait partie des sujets de conversation qu’il aurait besoin d’avoir, il vaudrait mieux qu’Alice soit d’humeur à en entendre parler.

Alice sourit jusqu'aux oreilles en entendant son ami valider son sentiment de fierté et même surenchérir en vantant ses talents. Elle n'est pas fragile et superficielle au point d'avoir besoin de l'approbation constante d'autrui dans sa vie, mais, pour un événement de cette envergure, savoir que ses proches la soutiennent et reconnaissent son travail lui fait du bien. La fierté est souvent vue comme négative, associée à l'arrogance. Et cela fait qu'il est parfois difficile de célébrer ses propres accomplissements. Ce n'est pas bien vu, ça n'est pas humble. Mais l'humilité c'est reconnaître qu'elle a dû travailler dur, qu'elle n'aurait pas été prête pour ça il y a même un an, qu'elle a encore du chemin à faire en répétitions pour que tout soit parfait le jour J. C'est arriver à l'heure, corriger les pas qui lui sont difficiles, prendre soin de sa voix. Mais ça n'est pas se faire toute petite et faire comme si elle ne méritait pas ce rôle, comme si elle ne pouvait pas être fière. Et ça, Harry le comprend, le célèbre même. Et c'est une des nombreuses raisons pour lesquelles la jeune femme l'aime tant.

Alice continue donc de serrer sa main, puis parvient à sortir quelques mots intelligibles « Merci Harry, j'ai hâte que tu puisses voir le résultat. Honnêtement, je crois que c'est toi que j'ai le plus envie de voir dans mon rang d'invités, avec ma famille. » Par là, elle entend plus ses parents et ses enfants, mais elle ne définit pas le terme, laissant l'ombre d'Arash planer sur la conversation, comme elle l'a fait sur tant d'autres depuis le divorce. Elle n'estime pas moins l'opinion professionnelle de son ex mari que celle d'Harry, mais disons qu'elle a appris à compter sur l'une plus que l'autre depuis quelques années. Mais elle ne s'attarde pas sur la question, préférant s'enquérir des dernières activités de son ami.

Il lui récite une réponse habituelle, sans entrer dans trop de détails, finissant sur le retour d'Agnes. La brune prend une gorgée d'eau, se demandant si le serveur les fuit et si elle va devoir de nouveau jouer des coudes, haussant un sourcil inquisiteur au passage. Elle n'est pas dupe. S'il évoque son nom, ce n'est pas pour lui donner de ses nouvelles parce qu'elles s'entendent si bien. Agnes, sans que ça soit sa faute, est une parfaite incarnation de tout ce qu'Alice essaye d'éviter chez les autres femmes depuis l'adolescence. Elle est coquette, émotive, jolie, sensible, tout ce que doit être la parfaite ingénue. C'est réducteur et un peu misogyne, Alice a fini par s'en rendre compte au fil du temps, mais reste que ce n'est pas sa personne préférée. Mais c'est celle d'Harry, qu'il l'admette ou non. Alors, elle mord à l'hameçon, mettant de côté son envie de l'interroger sur ses compositions pour plutôt dire « Ah oui, elle est revenue quand? Vous vous êtes vus j'imagine, elle va bien? »

Harry ne cherche pas à dissimuler sa fierté. Il a toujours été fier, particulièrement de ses amis - aujourd’hui de ses élèves, aussi. Et pas vraiment du genre non plus à minorer les victoires pour en faire des choses plus "petites" ou moins mémorables. Il sait bien qu’Alice a travaillé dur pour en arriver là où elle se trouve, et il sait aussi que le contexte familial dans lequel elle a évolué ces dernières années n’était pas des plus favorables. Il s’est suffisamment blâmé pour les difficultés qu’elle a rencontré, elle, et plus généralement, pour les difficultés que son couple a rencontré. Dans un monde parfait, elle serait restée mariée à Arash, et il ne peut pas vraiment s’empêcher de se dire que tel aurait été le cas si son frère n’avait pas été aussi fragilisé par son accident. Il doit beaucoup à Alice, finalement, et le fait qu’elle continue à apprécier sa compagnie, malgré tout le reste, est un témoignage qui l’a toujours assez ému.

- Moi aussi, j’ai hâte. Et j’espère bien que j’aurais la place d’honneur pour ta première soirée, je ne louperai ça pour rien au monde.

Il lui offre un sourire, l’imagine déjà, maquillée de vert, sur la scène du West End. Il est assez content qu’elle ne donne pas la réplique à ce crétin de Damian Grayson, mais c’est un autre débat. Il ne demande pas si Arash sera invité, en réalité, il en doute. Harry refuse de prendre part à cette histoire, parce qu’il aime aime son frère, et qu’il ne veut pas perdre Alice. Il prend ce qui vient, sans demander son reste, et écoute Arash lorsqu’il a besoin de parler - Alice le fait plus rarement, sans doute animée par la réserve de leurs liens fraternels.

Le sujet dérive finalement - et parce qu’il a besoin d’en parler - sur Agnes, et Harry acquiesce doucement, perturbé par ses pensées à l’évocation de la rousse. Sa meilleure amie semble prendre petit à petit une place dans son esprit en ébullition qu’il ne se savait pas capable de lui donner, et pourtant...

- J’habite chez elle, c’est plutôt facile de la croiser... Elle va bien, mais son fiancé, celui avec lequel tu auras le bonheur de ne pas partager la scène de Wicked d’ailleurs, il n’est même pas très bon, c’est pas plus mal... well, son fiancé l’a trompé quand elle était à Londres. La situation est un peu... compliquée.

En réalité, c’est pour lui que la situation semble être la plus compliquée en ce moment - et il n’est pas bien sûr de comprendre pourquoi il ne réalise que maintenant. Il se sent un peu idiot, sur ce coup.