Comme promis, Arash fait en sorte de ne pas rentrer trop tard, l’idée étant de ne pas envenimer les choses avec Alice qui a du changer des couches au lieu de profiter de la fin de l’été comme il a pu le faire autour d’un verre pour la première fois depuis un long moment. A deux pas de la maison, il réalise pourtant qu’il a oublié d’acheter du lait comme elle lui a demandé de le faire avant qu’il ne rejoigne Vera.

Comme Arash n’a pas de tête mais n’est pas un mauvais bougre pour autant, il fait bien évidemment demi tour pour trouver une épicerie ouverte jusqu’à pas d’heure, le tout en râlant bien évidemment, et cela même si l’oubli fâcheux est entièrement sa faute. Ces derniers temps, les nuits sont courtes et le couple a les nerfs à vif. Même si Arash s’est toujours imaginé avec des enfants, lui et Alice n’avaient pas vraiment planifié de devenir parents si vite, et encore moins d’en avoir deux pour le prix d’un. Cette surprise a bien évidemment boulversé leur quotidien a bien des égards, bien qu’ils se soient adaptés et ne se débrouilllent pas si mal que ça.

SMS : J’ai le lait!! J’arrive tu pourras m’ouvrir j’ai laissé les clé sur le plan de travail…

Arash prend la température et traîne ses muscles et ses courses jusqu’à la maison, il ne fera pas long feu ce soir, ça c’est certain. Avec un peu de chance, les enfants ne se remettront pas à crier avant cinq heures du matin, ce qui lui laisserait l’occasion de dormir environ six heures consécutives, ce qui ne serait pas si mal all considering. Il toque doucement et ne fait pas l’erreur de sonner, ce qui réveillerait sans doute les deux monstres et le chien, ce qui ferait aussi crier Alice, effet domino… Quand sa femme ouvre, il se décharge du lait et du papier toilettes qu’il se trimbale fièrement depuis dix minutes.

- Hey…

Alice sursaute, entendant le chuintement pourtant discret de son téléphone sur la table de chevet. Avant de devenir mère, son smartphone était en mode silencieux 24h/24, voire éteint une bonne partie de la soirée quand elle était sur scène. Mais aujourd'hui, elle serait bien trop angoissée à l'idée de manquer un appel urgent, de ne pas pouvoir communiquer avec son mari, la baby-sitter, sa mère… Son agent, un peu moins qu'avant. Alors elle se redresse vivement, l'écran n'affichant même pas encore 23h, et lit le sms d'Arash. Evidemment. L'espace d'une seconde, elle est tentée d'ignorer le message et de le laisser se débrouiller, aller chercher la clé de secours chez son frère ou, puisqu'il l'apprécie tant, dormir sur le canapé de Vera. Mais elle est réveillée maintenant et si les jumeaux se mettent à hurler dans quelques heures, il y aura quelqu'un d'autre pour aller s'en occuper.

Elle soupire donc et se lève aussi silencieusement que possible, enfilant un sweat de NYU qui traîne sur le large t-shirt qui lui sert de pyjama. Elle préférerait ne pas être aussi agacée. Après tout, Alice Jones est cool. Du moins, c'est un compliment qu'elle a souvent entendu et qu'elle apprécie. Cool. Chill. Drôle. Ces qualités qu'on accorde rarement aux femmes et que la brune aime revendiquer. Mais depuis la naissance des enfants, depuis qu'elle vit avec son époux, depuis qu'elle n'a pas à se soucier que de son petit confort, la jeune femme est devenue moins flexible. Moins fun. Moins cool. Elle s'efforce de (se) prouver le contraire, en "laissant" son mari aller boire un verre avec une superbe femme dont elle ne sait presque rien, en pleine semaine, par exemple. Car elle n'a pas à le "laisser" faire quoi que ce soit, ce n'est pas une épouse de sitcom qui hurle sur son partenaire pour des rire pré-enregistrés. Elle est jeune, compréhensive, facile à vivre. Cool.

Toutefois, quand la mère de famille ouvre la porte et voit la tête de chien battu d'Arash, avec son PQ et le lait qui aurait dû être entier, elle ne se sent pas cool. Elle est grincheuse et fatiguée. « Hey, did you have a fun night then? » Une question innocente, si ce n'est que dans sa tentative de parler à voix basse, son ton est un peu plus sec que prévu. Ou alors c'est simplement sorti comme elle le pense. Toujours est-il qu'elle serre un peu les dents en rangeant la bouteille au frigo et ajoute, sans y être invitée. « Over on our end, your son refused to go to bed for about 45 minutes and I burned dinner, so, hope you're not hungry. » De son côté, Alice a mangé un peanut butter and jelly sandwich, du chocolat et quelques morceaux de fruits abandonnés par les enfants. Mais la banale tristesse de ce repas l'incite à ne pas partager cette information, histoire de conserver une once de dignité dans sa colère irrationnelle.

Arash savait parfaitement à quoi s’attendre en passant la porte, à plus forte raison sans les clés qu’il a involontairement oubliées sur le comptoir de la cuisine et qui y trônent toujours fièrement pour ajouter une petite touche de bordel organisé au petit pot qui récupère tous les objets qui n’ont pas de rangement attitré dans la maison. Alice n’est pas plus aimable qu’avant son départ, mais la brune fait l’effort de lui demander s’il a passé une bonne soirée. Dans le fond l’idée est sûrement de faire un parallèle avec sa propre soirée qui n’a visiblement pas été de tout repos, mais Arash ne s’offusque pas. Ils sont tous les deux fatigués et s’il y a quelque chose qu’il a bien vite compris en grandissant dans une famille dramatique et aux forts caractères, c’est qu’il est souvent bien plus sage et intelligent de les laisser se calmer sans en rajouter une couche. Traitez le de Golden Retriever si vous voulez, mais Arash sait s’épargner le drame inutile.

- Well, I gave romantic advice mostly, and as you can see I didn’t drink too many pints…! My night isn’t over yet, the call of duty you know…

Arash sourit indiquant ainsi à Alice qu’il est prêt à endurer les terreurs nocturnes et les changements de couches intempestifs en échange de ces deux heures qu’il vient de passer en dehors de Staten Island.

- It’s fine I’ll have some sort of peanut butter sandwich or something. Maybe we should plan a fun night for you too ? Feels good to get out of the house sometimes…

Arash dépose un baiser sur sa joue avec tendresse. Elle a beau être agacée, Arash n’a qu’un seul motto, kill them with kindness. Il laisse parfois traîner trop de paires de chaussures différentes dans l’entrée mais ce n’est pas un mauvais bougre.

- Vera offered to babysit !

Arash tente une plaisanterie, mais il n’est pas certain que celle-ci va passer. Mais après tout qui ne tente rien n’a rien, n’est-ce pas ?

Rationnellement, Alice sait qu'elle n'a aucune raison d'être fâchée. Il est encore relativement tôt, son mari l'a prévenu et ce n'est pas comme s'il était du genre à régulièrement passé la soirée dehors et la laisser gérer leurs deux petites terreurs. Il a le droit d'avoir une vie sociale en dehors de leur bulle familiale, c'est même sain et recommandé. Parler à d'autres adultes, ça fait un bien fou. Et, toujours rationnellement, rien ne l'empêche de faire de même. Si elle peut reprocher des choses à son époux, sa volonté de faire sa part et passer du temps avec leurs enfants n'en est pas une.

Mais il n'y a rien de rationnel dans les émotions de la jeune mère de famille, sans doute trop fatiguée et usée nerveusement pour ne pas se laisser emporter par cet agacement, teinté d'une jalousie encore plus absurde, si elle est honnête. Elle s'en veut d'être comme ça, de son ton mordant, de ne pas être la fille cool qu'Arash a épousé, de glisser vers un stéréotype qu'elle a en horreur. Et puis, face à sa moue contrite, sa tendresse, sa tentative de lui faire voir le bon côté et la faire rire, il lui est difficile de rester en colère. Mais pas impossible.

Elle bougonne donc un peu, pour commencer. « Well excuse me for being the ole ball and chain keeping you from your pints. » Si elle tente d'adopter un ton humoristique, la comédienne ne trompe personne, encore moins son époux. Mais elle se radoucit un peu, sentant ses muscles naturellement se détendre un peu quand il se glisse près d'elle. Malgré sa mauvaise humeur, il reste son espace de sécurité, un baume au cœur. Elle sourit quand il lui propose d'organiser une soirée pour elle, qui se transforme en un froncement de sourcils quand il remet Vera sur le tapis. Toutefois, elle décide de ne pas se laisser glisser sur une pente dangereuse et préfère plutôt saisir l'opportunité. « Oh she said that did she? Does she do a friends discount, since you two are such good buddies? I could use a night out to be honest, might even take you with me, if you're good. »

Alice esquisse un sourire, puis passe finalement un bras dans le dos de son mari, pour l'enlacer. Elle ferme les yeux quelques secondes, inspire profondément, puis chuchote contre sa poitrine, profitant de ne pas avoir à le regarder dans les yeux. « I'm sorry I was so bitchy today. I'm just… It's a lot. » An understatement if there ever was one.

Alice bougonne et le sourire d’Arash devient plus tendre encore. Kill them with kindness they say… ce genre de choses fonctionne admirablement bien sur les petits caractères bien trempés dont Arash semble aimer s’entourer. Le couple se connait depuis des années, ils ont traversé des moments compliqués, notamment avec la famille de la jeune femme pas toujours avare de jugement, mais les nuits sans sommeil et les réveils en fanfare ne sont qu’une étape de plus à passer. Le ténor a bon espoir que leurs petites terreurs finissent par apprécier les bienfaits d’une nuit paisible et sans interruptions dans un futur plus ou moins proche… En attendant, il laisse son Alice râler et exprimer sa frustration, confiant sur sa capacité à revenir doucement mais sûrement dans ses bonnes grâces.

- Well you did let me go have them, so I don’t think I deserve such a heartfelt apology. Let’s have them together next time and add some nachos with them, my treat…

Comme il fallait s’y attendre, Alice réagit vivement au commentaire sur Vera. Le ténor aurait pu prévoir cette réaction avant même de faire de lui part de cette proposition, mais loin de s’offusquer pour si peu, il accueille cette petite pique hautement méritée avec le sourire. La jalousie d’Alice a toujours été suffisamment déguisée et sous contrôle pour qu’il puisse même en apprécier la flatterie qui en découle. Avec leurs enfants en bas âge et les samedi soir passés à changer les couches malodorantes, c’est avec un soupçon de culpabilité qu’Arash doit bien avouer être rassuré par l’idée d’être encore capable de susciter ce genre d’émotions chez sa femme. Alice l’enlace et Arash laisse ses bras l’entourer compatissant, mais aussi reconnaissant de cette soirée en dehors de la maison.

- You bitchy ? Never, not your style maybe you would have been if I didn’t get the whole milk, but I did right ? It’s a lot, but we’ll get there. If I manage to keep the good behaviour and not tell the opera director to go fuck himself, we should even be able to go out twice a week...!

Arash accompagne sa phrase d’un rire franc, même si en toute honnêteté, l’envie d’aller dire à son boss d’aller se faire foutre est très présente ces derniers temps.