Elle avait passé la soirée à ruminer. Franchement, participer à une soirée d’Halloween était bien le cadet de ses soucis, et si la faute était sur elle de n’avoir pas rendu clair le fait qu’elle aurait voulu passer cette soirée seule avec Marley, elle ne pouvait pas s’empêcher de ressentir une pointe d’agacement envers lui malgré tout. Objectivement, il n’y était pour rien, et Eryn le savait : il n’était pas encore au courant de tout, elle n’avait pas exprimé ses besoins autrement qu’en sous-entendus et il avait encore bien le droit de passer ses soirées avec qui il voulait sans forcément qu’elle ne soit avec lui. Sur la théorie, elle était d’accord. En pratique par contre, la multiplication d’informations angoissantes qui lui tombaient dessus depuis quelques jours mettait sa lucidité à mal.

Aussi, la brune avait passé la soirée à ignorer les messages de son petit ami, répondant à peine cordialement à ses messages importants et ghostant carrément les selfies et autres tentatives de lui faire comprendre qu’elle manquait à la soirée. A la place, elle avait végété devant une sitcom, avec la ferme intention de faire taire la boule d’angoisse qui lui rongeait les entrailles. Elle s’était endormie devant la télévision quand Marley rentra de l’Astor House. « Salut », marmonna-t-elle dans un demi sommeil avant de tendre le bras pour attraper son téléphone et jeter un coup d’œil à l’heure. « C’était bien ? »

T’avais pas vraiment compris pourquoi Eryn avait décliné l’offre d’une soirée synonyme d’amusement, de potes et de bouffe en tous genres, un film d’horreur tout pété en fond. Se faire peur devient tâche difficile, avec le king du nanar dans la salle. Heureusement pour tes amis, ce n’était pas chez l’un d’entre eux que vous vous étiez retrouvés. T’avais laissé tes DVDs de films terrifiants de nullité chez toi. Après avoir insisté lourdement auprès de ta brune ne fut-ce que pour t’assurer qu’elle allait bien, t’avais fini par lâcher l’affaire lorsqu’elle t’assurait seulement vouloir une soirée au calme.

T’étais quand même inquiet, comme le canard petit ami attentionné que t’étais devenu. Comme quoi tout arrive, même le changement chez le gars le plus autonome de la planète. De temps à autres, tu envoyais des sms, des citations de soirée, des selfies à Eryn : c’était con, mais ça te donnait un peu l’impression de l’avoir avec toi. Enfin, sur le papier, c’était censé être ça. Mais tu n’avais que peu de réponses et tu commençais vraiment à te questionner. Burberry, tu te calmes, focus ! On a dit ancrage dans le réel : elle t’a dit être fatiguée, elle s’est probablement endormie devant une sitcom dont secrètement toi aussi tu raffolais. Et puis quoiqu’il arrive, elle n’avait absolument rien à craindre : le chat veillait sur elle. Ou démontait les rideaux de ses griffes d’être démoniaque. les chats sont des petits bâtards goutte d’eau qui faisait déborder ton vase mental, t’avais fini par dire au revoir à tout le monde, récupérant au passage quelques cochonneries à grignoter pour la barmaid : si elle ne venait pas à la soirée, la soirée débarquerait chez vous, point final. Et puis à vrai dire, t’étais assez hypé à l’idée d’une after, elle, toi, un plaid et des trucs à bouffer devant le programme de son choix. T’es vieux Marley.

Retour au bercail. Tu fermes doucement la porte, t’as pas envie de la réveiller si elle dort. Pourtant, tu l’entends, d’une voix encore endormie, te signifier qu’elle ne dort pas. eh merde. T’avais oublié, l’espace d’un millième de seconde, qu’une mouche qui pète réveillait la belle. Tu t’approches et lui adresses un sourire avant de retirer tes dents de vampire à deux balles. Tu déposes un baiser sur sa joue et t’assieds sur le rebord du canapé, posant ton sac de malbouffe sur la table « hey babe ! Ça va? » tu hoches la tête. Oui, sur le papier, c’était cool. Mais il manquait… Eryn. « c’était cool ! On y va ensemble l’année prochaine ? » oh, hey, what the fuck ! T’es pas foutu de savoir ce que tu vas faire dans deux jours et tu demandes à programmer un truc pour dans un an ? Réflexion maladroite s’il en était, elle t’avait manqué et en bon gros couillon, t’avais pas su comment lui dire autrement. Tu changes de sujet, t’as envie de te facepalm si fort sur ta nullité en communication. Et pourtant, tu fais des efforts ! « j’me suis dit que… quelques échantillons de notre très célèbre « soirée n’importe quoi » composée de malbouffe trop grasse et trop salée seraient les bienvenus. Dooonc ... » tu lui signifies le sac sur la table avant de lancer un « tadaaa » victorieux. Mais quelque chose cloche. T’as du le sentir depuis un moment, que l’ambiance était un peu pesante, ou du moins, qu’elle sortait de l’habituel. Tu parlerais pas autant pour couvrir ton stress, sinon. L’air inquiet, ton regard se pose sur elle et tu mordilles ta lèvre inférieure « t’as l’air patraque mon coeur… tu serais pas en train de nous couver un truc ? »

« Ouais, ça va. Crevée. » Elle s’étira longuement et se recroquevilla en tailleur dans le canapé, avec un bâillement sonore. Son regard se posa sur Marley, assis sur le rebord du fauteuil avec son sourire adorable, et elle ressentit soudain une envie irrépressible de se jeter dans ses bras. La brune s’en empêcha, soucieuse de ne pas avoir l’air trop louche. A la place, elle sera un peu plus son plaid autour d’elle et écouta son compagnon qui, lui, ne se doutait de rien. Lorsqu’il lui proposa de se remettre ça ensemble l’année suivante, elle se mordit l’intérieur de la joue pour s’empêcher de grimacer. « Ehm… », hésita-t-elle. Non, ils n’iraient probablement pas ensemble l’année prochaine. Ils n’iraient pas ensemble l’année prochaine parce qu’ils auraient probablement un bébé sur les bras, qu’il serait bien trop petit pour qu’elle accorde sa confiance à qui que ce soit pour l’abandonner et faire la fête, et tout ça était bien angoissant, et elle ne savait pas comment verbaliser la chose, l’information était coincée dans sa gorge, et de toute façon Marley ne lui laissa pas l’occasion d’en placer une et enchaîna. L’odeur qui se dégagea des sacs de nourriture qu’il avait posés sur la table lui donna un haut-le-cœur et elle grimaça. Elle n’était pourtant pas la dernière à manger les restes du bar, d’habitude, et son alimentation n’était pas des plus équilibrées. Mais ce soir, elle en était écœurée avant même d’avoir goûté.

« Marley… », tenta-t-elle de le couper. Elle ressentait sa nervosité. Si elle le croyait crédule, Eryn réalisait qu’elle s’était peut-être trompée. Elle connaissait Marley, elle l’avait appris par cœur au fil des années. Bien sûr qu’il parlait beaucoup. Ça faisait partie de ce qu’elle aimait chez lui, sa capacité à trouver sans arrêt de nouvelles choses à raconter. Mais quand il se mettait à déblatérer des informations en changeant de sujet toutes les dix secondes sans lui laisser l’occasion d’en placer une, ça signifiait qu’il était nerveux. Tu serais pas en train de nous couver un truc ? Eryn leva le regard vers le blond et respira profondément pour empêcher une nouvelle crise de larmes. Elle en avait assez de pleurer sans arrêt, incapable de prendre une décision. Les jours passaient et le moment d’annoncer un verdict à son médecin approchait à grands pas. Pendant ce temps, elle n’avait toujours pas osé en parler à la seule personne à qui elle aurait dû en parler, et cette fois-ci, il commençait vraiment à se douter d’un truc.

Elle inspira une nouvelle fois. « Non, non, tout va bien. T’inquiète. Euh… » Come on now. Si Anneke l’entendait se dépatouiller avec ses mots alors qu’elle avait répété cette discussion mille fois avec elle, elle la tuerait. Et elle serait bien culottée de le faire, au vu de ses propres capacités de communication, mais encore une fois, ce n’était pas comme si elles n’avaient pas préparé ensemble ce qu’elle avait à dire. « Can we talk ? », demanda-t-elle timidement avant de mesurer l’ampleur de ces trois mots. Avec un peu de retard, elle tenta tant bien que mal (et plus mal que bien) de se rattraper : « Je ne suis pas en train de rompre, stresse pas. Par contre, on va avoir une décision à prendre, toi et moi, et, euh… » Sans prévenir, ses yeux se noyèrent de larmes et elle grogna de rage en s’essuyant les yeux tandis qu’elle se battait avec ses sanglots. « Ugh, fuck’s sake ! Sorry I hate being like this, it’s the worst. »

Tu ne sais pas ce qui se passe mais tu as un mauvais pressentiment. T’as comme une impression de déjà vu, un foutu truc dans ta tête qui n’a de cesse de te dire « hey, t’as vu ? Encore une fois, t’as probablement merdé avec la personne qui compte le plus pour toi. » Tandis que tu lui jettes à la figure des milliers d’informations toutes aussi inutiles les unes que les autres, ton cerveau turbine, commence à faire le point sur la moindre petite erreur que tu aurais pu faire depuis que vous avez décidé de vous remettre ensemble. Dans le fond, il aurait sans doute été plus simple de la laisser verbaliser ce qu’il se passait réellement. Tout ne tourne pas toujours autour de toi, tu l’as bien compris. T’as beau être le type le plus égocentré au monde sur le papier, t’as bien fini par le comprendre, et tu travailles fort pour calmer ce sale trait de personnalité qui n’est sans doute pas là pour rien. Là, comme ça, un psy pourrait supposer que ton père n’ayant jamais été là, t’avais besoin qu’il te remarque. Que dans le fond, t’étais pas si sûr de toi, malgré ton image de champion que tu soignes encore aujourd’hui alors même que ta carrière a été stoppée en plein vol. Que t’as besoin de te montrer que t’es capable. Mais on n’est pas dans une putain d’émission de l’après-midi que tu regardes quand t’as la crève, la tête sur les genoux d’Eryn, le chat dans les bras. Un vertige immense s’empare de toi à l’idée qu’elle puisse vouloir une nouvelle fois que tout s’arrête. Elle te coupe. Tu sens que tu ne peux plus y échapper et pourtant, t’as mis toute ton énergie dans ton putain de monologue, à déblatérer 170 000 mots à la minute Eminem ? Rap God ? Le mec peut carrément aller se rhabiller. Tu restes bouche bée, et t’hésites. Le Marley qu’elle a connu il y a dix ans se serait braqué et aurait claqué la porte, de peur de se ramasser une rafale dans le coin de la figure. Mais tu prends sur toi. Tu sais que vous vous êtes promis de communiquer, et tu ne veux pas jeter cette promesse au feu, trop importante pour la suite de ce qui pourrait se passer entre vous. Tu hoches la tête et prends sa main « babe, what the fuck is going on ?! » que tu lâches, tellement t’es sur le point de faire une syncope et la voir pleurer n’arrange rien. Instantanément, tu la prends dans tes bras et l’invites à reposer sa tête sur ton épaule d’un geste délicat qui ne te ressemble pas vraiment. Tu flippes, mais t’essayes de te taire, les seuls mots qui sortent de ta bouche sont pour elle « please, honey, tell me what’s wrong... » tu essuies sa joue d’un revers de la main et y déposes un baiser « c’est grave ? » que tu supposes : et si elle était malade ? Et si David revenait pour lui prendre l’Overkill ? ok. Keep calm potato. Pas de conclusions hâtives : laisses parler la dame, on a dit.

En proie à des sanglots incontrôlables, Eryn n’arrivait pas à aligner plus de deux mots les uns derrière les autres. La perspective même de prononcer ceux qui soulageraient sa conscience provoquaient d’autres hoquets ridicules et finalement, pourtant consciente que Marley devait à minima penser qu’elle était atteinte d’une maladie grave alors que la situation n’était pas si pire, elle se laissa tomber dans ses bras qu’il ouvrait pour elle et s’autorisa à se laisser cajoler quelques minutes.

Quand enfin elle reprit le contrôle de sa respiration, elle releva les yeux vers son compagnon qui insistait – à juste titre, elle ne pouvait pas lui en vouloir. Ils revenaient de loin, tous les deux. A l’époque, elle aurait probablement pris sur elle et réglé le problème seule, sans lui en parler, autant par fierté mal placée que pour l’exacte situation qui se déroulait actuellement : les conversations difficiles lui faisaient froid dans le dos. Pas pour rien que des années auparavant, elle avait pris ses affaires et s’était carapatée en silence pendant que Marley était en déplacement. Aujourd’hui cependant, ils s’essayaient à la relation saine, et ça fonctionnait plutôt bien. Elle n’allait pas reculer maintenant.

Alors, était-ce grave ? Elle secoua la tête. « Non, non, c’est… » Elle leva ses yeux rouges et bouffis sur Marley qu’elle dévisagea quelques secondes. Après une longue inspiration, elle souffla : « I’m pregnant, babe. » Enfin, un poids se libéra dans sa poitrine. Ce n’était pas la première fois qu’elle prononçait ces mots, elle en avait parlé une fois, à Wes. Mais c’était la première fois qu’ils ne cachaient pas un gros secret qu’il fallait garder à tout prix. « Je sais pas comment je dois me sentir. J’arrive pas à prendre une décision. » D’un côté, garder cet enfant alors que l’Overkill commençait à vraiment se faire un nom et qu’elle gagnait bien sa vie signifiait mettre toute sa réussite professionnelle en péril. Peut-être même fermer le bar. Ne pas le garder, par contre, lui filait la nausée.

Doucement, sa main se glissa dans celle du blond, à la recherche de réconfort. « A quoi tu penses ? »

Sur le coup, ce sont des milliers de questions, qui se bousculent au fond de ton crâne. Celles, irrationnelles, qui te poussent à te demander ce que t’as bien pu foirer pour qu’Eryn soit dans un état pareil. Celles qui nourrissent ta peur de la perdre de nouveau malgré ce que toi, t’as l’impression de voir comme quelque chose de plutôt encourageant : faut dire que tous les deux vous revenez de loin, la communication, c’était pas vraiment votre fort, jusqu’à maintenant. Et malgré quelques ratés – vous n’êtes jamais que des êtres humains, t’étais jusqu’ici fier de ce que vous avez réussi à reconstruire. Alors pourquoi est-ce que la brune est aussi mal en point ? Mille scénarios se jouent dans ta tête si bien que tu voudrais crier à ces putains de pensées d’aller voir ailleurs si t’y es : parce que si t’as bien compris une chose de tes erreurs passées, c’est aussi de ne pas tirer de conclusions hâtives… quasi impossible, lorsqu’il s’agit d’Eryn. Tu déteste la voir dans cet état. Et puis merde, ça t’inquiète, aussi. Mais t’es conscient qu’il ne s’agit pas de toi, ce soir. Ce n’est pas toi, qui es en détresse. Pas toi non plus qui sembles en proie à un truc dont tu n’as pas encore conscience. Tant bien que mal, tu essaies de ranger ton besoin d’être rassuré dans un petit coin de ta tête, et ouvres les bras pour tout soutien. Pour une fois, tu la laisses parler. Tu l’écoute. T’as laissé tomber le discours interminable, la logorrhée est semble-t-il passée, ou bien t’as mis des couches pour éviter les fuites. A vrai dire, t’es pendu à ses lèvres. Tes bras s’enroulent autour d’elle et tu caresses son épaule pour tout réconfort. Et puis elle a fini par lâcher la bombe. Tu réponds pas, perplexe, error 404, Marley Burberry a planté, souhaitez vous le rebooter ? Tu restes bouche bée. Tu ne sais pas combien de temps passe, comme ça, mais visiblement assez pour qu’elle te demande à quoi tu penses. Soupir d’apaisement, tu hausses les épaules « J’suis juste soulagé, en fait. J’avais peur qu’un truc horrible soit en train de t’arriver. » t’essaies de reprendre tes esprits, mais t’es tellement sidéré, que tu prends la situation, étrangement, avec calme. Toi qui avais toujours imaginé ce moment comme un chaos sans nom featuring ton évanouissement, visiblement, t’avais peut-être trop anticipé la situation. « hey, babe. T’as pas à prendre la décision toute seule. I mean : obviously, t’en as le droit. C’est ton corps et quoi qu’il arrive, c’est ton avis, qui prévaudra toujours. Mais… Je suis là. T’es pas obligée de gérer tout ça toute seule. Ça va aller. Tout va bien, love. » tu caresses sa joue et mordilles ta lèvre inférieure. T’hésites, et tu finis par poser la question qui te brûle les lèvres « tu sais depuis combien de temps… ? » trop tôt encore pour laisser ta joie exploser. Tu réaliseras sans doute demain. Et puis rien n’est encore joué : tout ce que tu demandes, toi, c’est qu’Eryn soit heureuse, avec ou sans petit bout de vous dans l’équation… même si, soyons honnête, t’es en train de beaucoup trop te projeter, pour un type qui voudrait gérer la situation de façon objective.

Eryn avait anticipé tout un tas de réactions. Celle où Marley lui faisait part très rapidement d’un avis tranché sur la question, celle où il lui reprochait son silence, celle où il se murait lui-même dans un mutisme inquiétant. Honnêtement, elle avait tout envisagé, ce cas de figure y compris, et pour ne rien cacher, son côté rationnel savait qu’il n’aurait jamais pu réagir autrement à leur âge, avec leur vécu et tout le travail qu’ils avaient fait sur eux-mêmes depuis leur première tentative catastrophique de vie commune. Pourtant, la conscience de la brune avait préféré se concentrer sur les scénarios catastrophe. Lorsqu’il choisit de la rassurer, elle laissa donc échapper un soupir de soulagement, sa main venant se poser doucement sur celle du blond qui caressait sa joue. « God, I love you. », murmura-t-elle avant de laisser retomber sa tête sur l’épaule de Marley, enfouissant son nez dans le creux de son cou l’espace d’une seconde. Elle ravala un nouveau flot de larmes avant de relever les yeux.

La question qu’il lui posa était légitime. Pourtant, elle secoua la tête en guise de négation. « Le test supersonique que Wes m’a filé quand je suis allée chouiner là-bas hier disait plus de trois semaines, et j’aurais dû avoir mes règles y’a dix jours, j’en sais pas plus. Pas encore. » Il ne servait à rien non plus de lui cacher qu’Ann et Wes étaient au courant. Ils étaient amis, il finirait bien par s’en rendre compte, et elle ne voulait pas faire peser sur Wesley le poids de ce secret plus longtemps que nécessaire. Eryn expira longuement, s’essuya les yeux d’un revers de la manche, puis releva le regard vers le boxeur dont les yeux brillants trahissaient son soulagement – ou son bonheur, mais la brune ne voulait pas tirer de conclusions à sa place. Et puisqu’il lui avait assuré qu’il serait là pour l’aider à prendre cette décision impossible, elle se décida à énoncer ses inquiétudes d’une voix mal assurée, pressée, inarticulée : « C’est pas le bon moment, Marley, y’a l’Overkill, je fais quoi de l’Overkill si on le garde ? Je peux pas gérer un bar et être mère, si ? Puis faudrait qu’on accorde nos emplois du temps, qu’on fasse moins d’heures, qu’on se trouve un appart entre nos deux boulots avec une chambre en plus, c’est trop. » Elle inspira, à bout de souffle. Puis, elle baissa les yeux vers son ventre et retourna aussi vite les planter dans ceux de son compagnon : « Et en même temps si c’est pas là ce sera quand ? » A good point. Le bon moment n’arriverait jamais, elle le savait. En bon bourreau de travail avec mille projets, elle trouverait toujours le moyen de repousser l’échéance, de trouver des excuses. Let’s face it, elle ne comptait pas abandonner son bar, ni aujourd’hui, ni plus tard. Peut-être fallait-il qu’elle saisisse cette chance maintenant et adapter ses projets à un nouveau rythme de vie plutôt que de repousser sans cesse ce projet familial qu’ils n’avaient jamais écarté, jamais vraiment lancé non plus. Le rythme cardiaque d’Eryn accélérait à nouveau, de stress et d’incertitudes. Mais maintenant rassurée sur le fait qu’elle n’avait pas à vivre tout ça toute seule, elle retrouva rapidement un semblant de contenance.

Eryn posa son front contre celui de Marley et ferma les yeux quelques instants. Elle profitait du silence qui, à présent qu’elle n’avait plus rien à cacher, la rassurait. « Si tu veux pas parler de ça ce soir parce que t’as bu ou que t’es pris de court, on peut attendre demain. It’s up to you, you tell me. Mais faut qu’on prenne une décision avant après-demain, je vois le médecin, c’est ma deadline. C’est court mais je veux pas arriver là sans savoir ce qu’on veut. »

T’es rassuré autant que son aveu t’effraie. Pas loin du stéréotype, tu vois votre vie défiler devant tes yeux. Tu comprends son silence quant à ta proposition : l’an prochain ? Peu de chances que vous puissiez avoir l’opportunité de la faire, cette soirée entre amis. Mais tu t’en fous. Y’en aura d’autres, des soirées. Mais des opportunités d’être parents, pour vous… si tu n’as jamais vraiment abordé le sujet et ne vous considère pas encore comme de vieux croulants, tu sais malgré tout que le temps vous est compté, concernant le sujet. Et l’idée de ne pas avoir le choix sans être certain de ce qui pourrait ou non être le mieux pour vous te fait flipper. Parce que vous n’auriez pas le confort d’un « et si ». T’essaies de tout faire pour la rassurer, anormalement prudent. Il y a quelques années, t’aurais sans doute voulu tout contrôler, répondu sous le coup de la trouille et de ton besoin de tout garder safe. Mais aujourd’hui tu le sais : l’urgence est votre pire ennemie, autant pour toi que pour votre couple. T’es pas tout seul à exister et Eryn a plus que jamais le droit de s’exprimer : si vous le gardez, ce n’est pas ton corps qui va changer, ce n’est pas toi qui vas expérimenter les douleurs. Si vous en décidez autrement, ce n’est pas toi non plus qui auras cette expérience traumatisante sur les épaules. L’idée même de voir Eryn souffrir psychologiquement ou physiquement te terrifie. Tu prends une discrète mais néanmoins longue inspiration et serres doucement la barmaid contre toi. D’un sens, t’es même rassuré qu’Eryn ait pu trouver réconfort auprès de ton meilleur pote, finalement pas totalement seule dans le bateau avant de te mettre dans la confidence. Tu l’écoutes, toi même perdu dans tes pour et contre variés, et caresses son épaule. T’essaies de l’aider à reprendre le dessus sur la panique « hey… tout va bien. Respires. J’ai confiance en toi. Tu nous as montré plusieurs fois que t’étais plus que capable là où c’était pourtant difficile. Les solutions ça se trouve. Y’a quelques années, ça aurait sans doute été compromis, mais toi et moi… ça le fait, non ? Les solutions, ça se trouve. Et puis c’est plus comme avant ; j’pars plus aux quatre coins du monde, j’suis là tôt, je peux globalement bouger mes horaires comme je veux… Et puis pour l’appart, c’est pas un souci, on a encore quelques mois ! Et puis… peut-être que ça serait l’occasion d’officialiser… ? Enfin je veux dire ; on passe quasi plus un soir sans être chez l’un où chez l’autre mais toujours ensemble : ça pourrait être le moment d’avoir un chez nous et plus un chez toi ou chez moi ? » Tu secoues la tête, tu marques une pause, un peu gêné en réalisant que tu parles BEAUCOUP, once again. Marley et la gestion du stress part. 2, le retour du guerrier. « C’est comme tu veux. J’suis clair, t’en fais pas. On peut en parler. » ton regard se pose dans le sien et tu lui adresses un sourire « ok. What about… continuer cette discussion avec du thé et des plaids ? » tu te redresses légèrement et murmures « hey. Quoi qu’on décide : je sais que ce sera la bonne décision. » que tu lances, en caressant sa joue : t’essaies tant bien que mal d’éviter la culpabilité qui pourrait peser sur vos épaules, quoi que vous décidiez.

Marley réagissait à la situation avec un étrange calme, et les bons mots. Une certaine forme de fébrilité qui pouvait s’expliquer par la nervosité, l’alcool aussi, peut-être, la tension dans l’air. Petit à petit, Eryn, quant à elle, s’apaisait. Elle n’aurait jamais cru que cette interaction amènerait pour elle la preuve finale qu’ils n’étaient plus les crétins irréfléchis et sanguins qu’ils étaient dix ans plus tôt, mais elle comprenait à présent qu’elle n’avait tant craint cette discussion que parce que leurs ombres planaient encore au-dessus d’eux. Dans ses souvenirs, un tas de conversations avortées, par peur non pas de Marley, jamais, mais de la confrontation de leurs deux caractères explosifs. Beaucoup de lâcheté également de sa part à elle, avec au sommet cette rupture ridicule où elle avait attendu qu’il s’en aille pour prendre ses affaires et partir. Voir aujourd’hui Marley prendre une grande inspiration et la bercer de paroles rassurantes alors que leur situation était plus qu’intense avait fini de la convaincre : ils avaient grandi et ils étaient prêts. Ils n’avaient pas encore toutes les réponses, mais ils étaient prêts.

Les secondes passaient et Eryn se détendait petit à petit, blottie contre son compagnon. Oserait-elle-même dire : le père de son enfant ? La pensée était étrange, pas foncièrement désagréable, mais elle la balaya tout de même rapidement – c’était trop tôt, trop bizarre pour l’instant, elle réessaierait plus tard, quand ils seraient sûrs, même si écouter Marley trouver instantanément des solutions aux problèmes qu’elle soulevait lui donnait l’impression que son choix à lui était fait. Eryn acquiesça, ne répondit pas pour autant. Mais le sourire qu’elle lui rendit indiquait qu’elle s’était calmée, et que le blond y était pour beaucoup.

« Bonne idée. », elle souffla à sa proposition. Avant de se lever, elle se laissa une nouvelle fois entraîner dans le regard de Marley qui la rassura à nouveau, un constat qui la fit instantanément fondre. Elle pressa ses doigts autour de son avant-bras pour signifier qu’elle l’avait compris, qu’il avait forcément raison, mais se leva ensuite en silence, incapable pour l’instant de prononcer d’autres mots que des banalités.

Ils préparèrent le thé en silence, ce qui permit à Eryn de remettre ses pensées en ordre. Elle avait l’impression d’y voir clair pour la première fois depuis une semaine et le soulagement était si intense qu’elle avait l’impression de peser vingt kilos de moins qu’une demi-heure auparavant. « On devrait totalement se chercher un appart. », lança-t-elle finalement, une fois installée sous un plaid et un mug fumant dans les mains. « Ou une maison, on pourrait grave se le permettre. » Avec un sourire complice, elle croisa le regard de Marley et conclut : « T’as raison, c’est ridicule, on vit pratiquement ensemble, quoi qu’on décide ça n’a aucun sens de garder deux logements. »

C’est dans les cas de force majeure que l’on reconnaît les véritables vainqueurs. C’est ce que ton père te répétait le peu de fois que tu le croisais, lorsque tu étais plus jeune. Et si t’as appris à faire sans ses conseils stupides emprunts de masculinisme à deux balles -masculinisme que t’as bien vite appris à mettre à la poubelle, Ann’ et Eryn dans tes parages !- , t’essaies tant bien que mal de ne pas céder à la panique. Pas par souci de montrer que t’es un mal alfa, c’est déjà cuit, avec ton maquillage vert fané et ta robe de Fiona made in Wish fraîchement retirée pour le bien de ta peau : tu fais probablement une réaction allergique à autant de plastique d’un seul coup. Si tu restes si calme, c’est tout simplement que tu es sidéré. Et en même temps, comment est-ce que ça aurait pu en être autrement ? Malgré les moments difficiles et votre séparation, Eryn et toi, ça a toujours été une évidence, pour toi. Peut-être que tu manquais simplement de… maturité émotionnelle ? Putain, voilà que tu te mets à parler comme les filles, maintenant ! Pas plus mal, ceci dit : tu sais le genre de trou du cul sans fesses que t’as pu être, auparavant : Eryn n’est pas partie pour rien après tout. Autre raison à ton calme ? Tu vois qu’elle est suffisamment mal pour en rajouter. A l’intérieur, tu bouillonnes. Ton monde s’effondre, pour reconstruire à la place des milliards de possibilités : pas que tu sois malheureux, tu adores l’idée. Mais tu as toujours eu du mal avec les incertitudes. L’idée d’être papa t’enjaille autant qu’elle ne t’effraie ; celle que ce bébé ne voit jamais le jour te déchire autant qu’elle rassurerait ton confort et ton petit égo mesquin, celui là même que tu cherches à tuer dans son sommeil tous les jours.

Patiemment, t’essayais d’aider Eryn à retrouver le calme. La question te brûle les lèvres, mais tu n’oses pas : comment a-t-elle pu rester ainsi autant de temps ? Comment n’a-t-elle pas été dévorée par l’angoisse, l’incertitude ? A sa place c’est certain : t’aurais pété une pile au bout de deux heures et aurais fini en larmes, morve au nez chez Wes. Décidément, le pauvre est toujours au centre de vos psychodrames, il faut croire : un ami comme on en fait plus.

T’es concentré sur la préparation du thé. Tu sais pas si c’est le retour de flamme de la soirée, le fait que tu sois complètement atterré ou juste l’heure tardive, mais t’es vanné. T’as plus la force de parler. Le silence n’est pas de ceux qui pèsent sur vous. En fait, il est même plutôt confortable et les mots qui finissent par l’interrompre t’arrachent un sourire : t’adores l’idée d’une maison en banlieue pour Eryn et toi, avec ou sans enfant. Bien que soyons honnêtes : plus t’y penses, et plus tu t’attaches à l’idée. T’essaies de réprimer le truc : c’est trop important pour jouer avec. Tu imagines combien ça doit faire peur à ta brune ; t’es paumé, toi aussi. « ouais, une maison, carrément ! J’avoue que j’ai beau adorer nos voisins, l’idée de pouvoir faire du bruit sans avoir de remarque me plait assez. » tu caresses son dos, amusé : hell, yeah. T’es pas non plus le genre de voisin chiant à écouter de la techno type marché à la saucisse à Francfort, mais quand même. Un minimum ! Tu aimes quand ça vit. Et si un petit gars ou une petite princesse rejoignaient vos rangs, les jours et les nuits risqueraient d’être de véritables épreuves pour vos voisins. Tu souris « eh ! Tu te rends compte ? On va avoir notre espace ! » fini de s’embrouiller pour des histoires de territoire. Quoique, t’es probablement de mauvaise foi, sur ce coup là : vous avez passé ce stade il y a de ça dix ans. Mais quand même, tu vas pas cracher sur l’idée d’un véritable chez vous marquant le tournant de votre histoire commune.