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tw: Deuil, Démence, Adultère, Racisme, Antisémitisme

Les parents de Tess sont des immigrés chinois ayant fui leur pays après une purge interne au PCC qui obligea son père, fonctionnaire et modeste membre du parti, à partir précipitamment pour protéger sa famille. Arrivés à New York en 1984, le couple obtient le statut de réfugiés. Tess naît un an plus tard, bénéficiant de la précieuse nationalité américaine. Les finances du couple sont précaires, son père ne parvient pas à trouver d’emploi stable, et les parents se résolvent à ouvrir finalement une petite échoppe de restauration/traiteur. Le déclassement social ressenti est vécu douloureusement par le père de Tess, qui grandit dans une atmosphère familiale lourde.

A ses neuf ans, alors qu’elle est partie faire des courses avec son père, elle sent la main de ce dernier glisser brutalement de la sienne tandis qu’il s’affaisse sur la chaussée. Foudroyé par une rupture d’anévrisme cérébral, il décède sous ses yeux horrifiés, malgré l’arrivée des secours – le traumatisme la hantera toute sa vie, même si elle parle très peu de cet événement. Pour subvenir aux besoins de sa fille, sa mère commence à faire des ménages dans le voisinage en plus de maintenir son petit commerce à flot. C’est ainsi qu’elle rencontre Saul Bernstein, veuf depuis quelques années qui la prend en amitié … et un peu plus. Sa mère épouse Saul un an à peine après le décès de son premier époux, se convertissant au judaïsme, et Tess n’apprécie que très modérément ce qu’elle voit à l’époque comme une trahison. L’homme, responsable marketing pour une petite entreprise d’objets de jardin, a un salaire correct, qui leur permet d’être un peu plus à l’aise financièrement, même si les revenus demeurent modestes.

A l’adolescence, Tess se lie d’amitié avec une autre fille de son lycée, Emma. Cette amitié très passionnée l’éloigne de ses copines d’enfance, notamment Agnès et Vera. Quand Agnès est quittée par son copain de l’époque, le meilleur ami d’Emma, Tess se retrouve prise entre deux feux, et la timide jeune fille n’ose pas aller à l’encontre des protestations de cette dernière sur la gentillesse de son copain et la méchanceté supposée d’Agnès. Aveuglée par ses sentiments confus, elle se range du côté d’Emma, se brouillant avec Agnès.

Admise à l’université en médecine, à la grande fierté de sa mère, Tess se concentre un peu plus sur ses études, consciente de la pression qui pèse sur ses épaules pour réussir, compte tenu des sacrifices qu’elle impose à sa génitrice comme à son beau-père. Leur couple traverse une période difficile, tous deux renonçant définitivement à avoir un enfant ensemble. Saul reporte l’entièreté de son affection paternelle sur Tess, ce que cette dernière vit avec ambivalence, consciente de ce que ce dernier lui a apporté, tout en éprouvant des sentiments contradictoires vis-à-vis d’un beau-père qu’elle ne parvient pas à considérer comme un père, quand il l’a toujours traité comme sa fille. Afin d’alléger la pression financière, elle consacre l’essentiel de ses vacances à des petits boulots pour aider à payer ses études. Elle traverse ces années estudiantines dans un célibat qui arrange sa mère et lui évite d’avoir à réellement s’interroger sur son manque d’entrain manifeste pour nouer des relations, aveugle aux quelques garçons qui lui font des avances. Jusqu’à ce qu’elle recroise Emma, en master d’analyse financière, dont elle s’était éloignée après le lycée. Et cette fois, le caractère passionné de leur relation n’est pas teinté par la naïveté troublée de l’adolescence, mais par la conscience adulte d’un désir profond. Tess devrait douter. Tess devrait s’interroger. Mais pour une fois, la prudente et timide Tess envoie tout balader quand Emma l’embrasse.

Sa mère est d’une froideur de glace quand elle apprend la nature de la personne dans la vie de sa fille. Son beau-père est plus mesuré, bien que notoirement croyant, assurant simplement à sa belle-fille qu’il priera pour comprendre. Tess emménage avec Emma, termine ses études de médecine et commence son internat.

En 2013, les deux femmes se fiancent, puis se marient, tandis que Tess est dans ses années de résidence à l’hôpital, se dirigeant vers la neurochirurgie, naturellement. Elle cède finalement à la demande de son beau-père de l’adopter – en adoption simple – mais renonce à porter son nom de famille, parce qu’elle n’a aucune envie d’être confrontée, en plus du racisme, à l’antisémitisme d’une partie des personnes qu’elle est contrainte de fréquenter dans l’exercice de ses fonctions.

Les magouilles de Shawn, l’ex d’Agnès, toujours dans la vie d’Emma, finissent par éclater, et Tess encaisse difficilement les plaintes de sa compagne, qui perd son emploi, quand elle doit assurer, tout juste titulaire et avec un prêt à rembourser, la responsabilité financière de leur couple, alors qu’elle a tenté d’avertir cette dernière sur le côté déloyal de ce meilleur ami toxique, la culpabilité de sa brouille avec Agnès s’ajoutant. Elle multiplie les heures supplémentaires, prend des consultations en plus quand Emma s’abîme dans l’apathie, les sorties dans les bars, traînant en rentrant un parfum d’alcool, et parfois, d’autres parfums de femmes que Tess essaye d’ignorer.

Quand Emma finit par retrouver un travail, tout devrait s’arranger. Mais tout ne s’arrange pas, parce que c’est elle qui travaille énormément à son tour, et Tess se retrouve fragilisée par le décès soudain de son beau-père, et ce qu’elle comprend des tracas que ce dernier a tu au vu de sa propre situation, quand elle fait face à sa mère, désorientée et hagarde, en proie à des signes évidents de démence. Elle tente d’aider cette dernière de son mieux, en dépit des difficultés et du manque de soutien d’Emma, qui considère que le plus logique serait de placer en institution sa belle-mère. Et elle a sans doute raison, mais Tess ne parvient pas à l’entendre. Alors elle se réfugie dans ses relations amicales, parle beaucoup, sort d’un quotidien difficile en rêvant un peu, en plaisantant longuement le soir avec Vera qui a lancé sa propre entreprise. Les messages s’allongent, les confidences aussi. Il y a l’envie soudaine de partager une trouvaille d’internet, d’envoyer un petit SMS à propos de rien, juste pour relancer la conversation, l’intimité qui se crée jusqu’à deux heures du matin, à refaire le monde et à parler de leurs vies. Et le désir, sournois, qui s’insinue dans ses veines quand Vera, qui n’a jamais fait mystère de sa vie personnelle agitée, plaisante sur ses rencontres et que la pudique Tess se surprend à laisser échapper quelques commentaires crus sur la sienne. Le désir, qui s’accroît, dans les prunelles qui suivent son amie du regard. Il y a cinq pas, entre le canapé de Vera et son lit, et Tess finit par les traverser en pensée, le soir dans ses rêves. Il y a cinq pas, entre le canapé de Vera et son lit, et Tess les franchit un soir. Vera aussi. Et c’est déloyal, à mille lieues de ses valeurs. Mais pour une fois, elle a envie d’être égoïste, et de penser à elle. De ne pas réfléchir.

Sauf que c’est difficile, de ne pas réfléchir. De ne pas comprendre, ce que ce sentiment d’être heureuse en dehors de chez elle – chez elles – signifie. La liaison se prolonge, et Tess se rend peu à peu à l’évidence, quand elle laisse des indices, presque volontairement, pour qu’Emma comprenne, et que cette dernière ne réagit pas, que son mariage est bel et bien fini. Et ce n’est pas qu’elle a envie de quitter Emma parce qu’elle aime Vera – enfin, peut-être, mais c’est une conversation qui n’a pas lieu, parce que les non-dits ont tendance à se taire face à la facilité du désir – mais parce qu’elle réapprend à s’aimer elle-même. Sa relation avec Vera prend fin, et elle entame une procédure de divorce avec Emma.

Le divorce se fait – relativement – à l’amiable, et Tess se consacre à son travail avec acharnement, ainsi qu’à sa mère, qui continue de se dégrader. Elle subit ce qu’on ne dit pas, ou trop peu. Parce qu’il y a les absences, les pertes de mémoire, et elles font mal, si mal, quand sa mère croit qu’elle est encore adolescente ou lui parle d’un mari qui n’adviendra jamais. Mais il y a aussi la violence et l’agressivité, la désinhibition, ces troubles cognitifs et du comportement qu’elle peut être amenée à diagnostiquer, mais qui sont désormais face à elle. Et elle finit par comprendre qu’elle ne peut pas, qu’elle ne peut plus faire face. Alors, elle prend la décision d’institutionnaliser sa mère, enfin – et de supporter ceux qui disent qu’elle aurait pu faire plus, qu’elle l’abandonne, quand c’est peut-être sa propre santé mentale et physique qu’elle protège. Parallèlement, son chef de service est dénoncé par plusieurs internes pour son comportement envers elles, et la direction de l’hôpital – peu désireuse d’une vague MeToo dans l’établissement – suspend le praticien et lui propose de prendre sa place, ce qui la laisse encore une fois ambivalente, consciente que la raison est moins due à ses compétences qu’à ce qu’elle représente. Mais comment refuser une telle opportunité, surtout quand les traites pour sa mère sont importantes et que la hausse de salaire n’est pas négligeable ?