Des secondes qui paraissent une éternité. Derrière la porte, il entend des pas. Il sait qu'on s'active, mais il ne sait pas ni qui, ni comment et des milliers de scénarios s'enclanchent sous sa tignasse brune. Il s'imagine Prune remariée, avec le premier type venu. Parce que c'était lui, parce que c'était elle. Le genre d'évidences que Montaigne et La Boétie avaient déjà expérimenté avant eux, Milo et Prune eux aussi. Et il n'irait certainement pas lui reprocher: c'était lui, qui était parti. Ou peut-être qu'elle l'avait attendu ? en réalité, il n'était pas certain de préférer cette réalité. Il était parti sans laisser un mot ou une adresse, et comptait, maintenant, revenir comme si rien ne s'était produit ? non. Bien sûr que non, ça ne passerait pas. C'était idiot. Il n'y avait qu'a voir comme sa Prunelle avait pu réagir, en le voyant se connecter à son compte pour jouer à leur jeu fétiche; sorte de petit signe aussi discret qu'un coup de Doc Martens en plein visage: spoiler alert, elle n'avait pas sauté de joie. C'était pour ça, qu'il était là, devant cette porte, sans même être certain de savoir qui était le locataire de leur ancien nid d'amour: Prune avait-elle déménagé ? Son coeur se serrait à cette idée. Il aurait voulu partir, mais en entendant cette voix qu'il ne connaissait que trop bien, il resta statique, le souffle coupé. Son regard accroche le sien. Dans ses prunelles, il peut facilement voir tout ce qu'elle renferme et il se déteste, de l'avoir embarquée dans tout ça: c'était son histoire à lui, pas la sienne. Elle n'aurait pas du en pâtir. Pour l'instant incapable de dégoiser un mot, il l'observe, un léger sourire naissant sur ses traits tirés. Il aurait pu fuir le sale quart d'heure qui l'attendait, mais il ne l'a pas fait. Il décidait d'aller au devant: fini de se foutre de la gueule du monde, surtout quand le sien risquait de s'effondrer à tout instant. "J'suis désolé... J'aurais pas du ... Pardon mon amour..." voilà tout ce qu'il fut capable de bredouiller, ce qui ne ferait d'ailleurs sans doute qu'augmenter la colère de sa brune, il le savait. Son regard n'osait plus croiser celui de sa Prunelle, aussi fixa-t-il inlassablement le sol, avant de se risquer à relever la tête "c'est bon de te revoir... T'as pas idée, comme tu m'as manqué."

Face à Prune, il se sent perdu. Il a aussi mal que ça lui fait du bien de la voir. Mais il n’est pas dupe. Il n’a pas l’intention, non plus, de se montrer en victime : il ne manquerait plus que ça. Dans cette histoire, c’était lui qui avait tout détruit, Prune qui avait payé les pots cassés. Et finalement, c’est sans doute ça, qui lui faisait le plus mal : ne pas avoir été à la hauteur. Une boule se noue dans le fond de sa gorge et son regard fixe subitement le sol. Pas plus confortable, mais peut-être plus facile. Il n’en sait rien. Il ne supporte pas de voir cette lueur de colère et de tristesse dans les yeux de sa femme et en même temps : qu’est ce qu’il aurait bien pu espérer de plus ? Une claque ? Ç’aurait été là tout le bien qu’il se souhaiterait. Un gnon, tant que ça la soulagerait, ça lui irait. Alors il balbutie. Des mots qu’il n’entend pas, qu’il n’est même pas sûr de comprendre lui même mais qui, pourtant, semblent déclencher la colère de Prune. L’explosion. Il mord l’intérieur de sa joue, les yeux embués de larmes : c’est pas la dureté des paroles, qui le blessent, mais qu’elles soient vraies. Légitimes. Alors il laisse. Il sait que de toutes façons, rien ne pourra jamais plus être comme avant. Comment ça pourrait ? Il s’est fait passer pour mort pendant un an et voilà qu’il débarque la bouche en coeur. Il n’arrive pas à réaliser. Il n’a pas les armes ni les outils pour process le merdier dans lequel lui même les a mis, tout seul, comme un grand. Il secoue la tête frénétiquement, mutique, cherchant le courage et surtout les mots pour apaiser la peine de celle qu’il aime. Mais il sait que rien ne pourra mettre du baume sur son coeur meurtri. Une larme roule sur sa joue et il essaye d’articuler, tant ses mâchoires crispées lui font mal « Prune attends… j’suis désolé… j’peux pas te demander pardon parce que ce que je t’ai fait subir est… j’ai pas les mots. J’ai fait de la merde. J’ai tout détruit. J’ai cru te protéger. J’ai vraiment cru. Tu dis que tu m’as cru mort ? Je l’étais, du moins en quelque sorte. Et je voulais pas que le mal qui me bouffait ne t’éclabousse. Tu méritais pas ça, Prune. Tu méritais mieux que ce que j’étais. J’voulais pas. Pas comme ça. Et puis j’ai eu peur pour toi. Parce qu’ils ont dit que si je ne continuais pas avec eux, ils te prendraient. Tu comprends ça ? » sa main tremblante se posait sur sa bouche, comme pour le faire taire, tandis que les larmes, elles, redoublaient « je pouvais pas te mêler à toute cette merde. Je voulais pas. C’est bateau, sans doute, mais… C’est parce que je t’aimais que je suis parti. Si je ne le faisais pas, ils nous auraient tués. Tous les deux. » son poing tapait contre son front, dans un sursaut de colère contre lui même : s’il n’avait pas voulu le beurre, l’argent du beurre et le reste, s’il avait fait les choix auxquels il avait été confronté, plus tôt que de tirer sur la corde, il n’en aurait pas été là. c’est bien fait pour ta gueule, West qu’il ne peut s’empêcher de penser en boucle. Il dépose les armes. Il capitule: il ne peut pas lui demander d’accepter l’inacceptable « et là j’suis là à pleurer comme un connard devant notre porte… J’attends pas de toi que tu me reprennes, Prune. J’ai fait trop de mal. Mais je voulais que tu saches combien j’étais désolé. Combien je t’aimais. Et puis… je voulais prendre de tes nouvelles. J’en avais besoin. Pardon mon coeur... » sa gorge se noue et il grimace, ramené sur terre par la brulure de sa cigarette consumée entre ses doigts. Le Karma, comme dirait l’autre.

En arrivant devant sa porte, il ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Bien évidemment, il se doutait bien que le temps ne serait probablement pas aux embrassades. Pas qu’il n’en ait pas envie ‒ il en crevait. Pourtant, il savait pertinemment que ce genre de trucs n’arrivent que dans les comédies romantiques du genre dont il adorait se gaver lové dans les bras de Prune. Il se revoyait d’ailleurs, là, faisant semblant de rechigner à chaque proposition de la brune pour en regarder une. Coup de poignard dans le coeur, coup de nostalgie en pleine face, il chancelle, plus vraiment sûr de rien. Il n’ose même plus croiser son regard, rêvant d’un ailleurs, d’un monde parallèle où tout serait arrangé, ou, idéalement, il aurait su dire non à la première dose destinée à le faire tenir : le doigt dans l’engrenage. Il sait ce qu’il a perdu. Il sait aussi qu’après tout ce temps sans donner de nouvelles, il ne peut pas demander à Prune d’accepter son retour en claquant des doigts. Il frémit en réalisant : peut-être a-t-elle refait sa vie ? Il blêmit, l’envie de pleurer et de crier lui serrant la gorge jusqu’à lui faire mal, mais moins que les paroles de sa brune, qui elles, le pulvérisent. Mais il le sait bien, qu’il n’a pas voix au chapitre : la colère de Prune est légitime, c’est le contraire, qui aurait été étrange. D’une petite voix, il secoue la tête, comme un enfant pris la main dans le sac, engueulé par sa mère… cette fois avec beaucoup plus d’enjeu : on n’est pas rejeté par ses parents. Du moins pas dans son cas : quoi qu’il fasse, il sait qu’il pourra compter sur eux. Mais Prune, elle, en aura sans doute eu marre de ses frasques, moments d’extase et de down profonds à la limite, souvent, de l’hyperactivité, et sa disparition scellant le cercueil de leur amour. Il secoue la tête, tente de faire face à ses erreurs plutôt que de rester dans le déni, petit jeu auquel il était encore incollable un an plus tôt. « Chérie, s’il te plaît… c’est pas ce que j’ai dit ! J’imagine même pas ce que t’as pu traverser, combien t’as du t’inquiéter, m’imaginer mort ou… » déboussolé, il reprend son souffle, essuyant la larme qui trahit les émotions qu’il refoule « Non. J’m’attends pas à ce qu’on reprenne là où on s’est arrêtés. Je sais que je t’ai probablement perdue mais je ne peux m’en prendre qu’à moi même. J’ai paniqué, j’ai eu peur – pas pour moi : pour toi. Peur qu’on te fasse du mal, peur de te perdre ou de te voir morte… J’ai pas la prétention de savoir comment réagir dans n’importe quelle situation… Je sais que c’était n’importe quoi, mais j’avais honte, tu comprends ? Honte de ce que j’étais devenu, de ce que j’avais à t’offrir : rien d’autre que de la désolation et du chaos, comment je pouvais me regarder dans la glace en risquant tout ce qu’on avait ? » il hochait la tête à ses mots et passait une main sur son visage pour se redonner une contenance « Bien sûr que non, Prune ! T’es la fille la plus forte et volontaire que je connaisse ! Mais aussi forte sois-tu, ces types étaient armés mon coeur ! J’aurais pas supporté. Pas toi ! Ils auraient pu me tuer s’ils l’avaient voulu… mais pas toi ! » il soupire et tourne sur lui même, pris dans ses pensées. Il radote, il le sait, aussi il préfère se taire, pris dans une spirale qu’il ne contrôle plus, c’est son mental fatigué qui prend le dessus, mélange de paranoïa et de down intense, nu comme un ver qu’il se sent, misérable. Il aimerait creuser son trou pour ne plus jamais en sortir, mort de honte et de culpabilité : finalement, peut-être qu’il aurait vraiment du y rester, avec ces types : ç’aurait probablement été moins douloureux que de faire souffrir sa femme pour rien. Il murmure, impuissant « je ne te demande pas de me pardonner mon amour… Je… Je sais pas ce que j’ai cru… Je voulais simplement te dire que j’étais de retour, que j’étais en vie… et surtout j’voulais savoir que tu allais bien… pardon, ma Prunelle. J’voulais pas faire autant de mal, surtout pas à toi. J’étais pris au piège… mais j’suis là maintenant. Pas pour reprendre notre vie d’avant si tu ne t’en sens pas le courage, mais j’suis là Prune. Je suis là… » à la voir s’éloigner, tu paniques « Chérie, s’il te plaît… restes… Je t’aime, ne fermes pas la porte. »

Partir avait été un crève coeur. La pire décision autant qu’elle avait été la meilleure, il ne le savait que trop bien : si il avait continué, les choses se seraient aggravées. Il aurait probablement continué de mentir, de faire partie de cette bande aussi peu recommandable que dangereuse. Oh, qu’on soit bien clairs : elle était en réalité plus dangereuse pour lui que lui ne l’était pour qui que ce soit : Milo n’était pas un violent, mais ses fréquentations, elles… mieux ne valait pas se mettre en travers de leurs plans, si l’on voulait avoir une chance d’être tranquille ; ou simplement en vie. Milo l’avait appris à ses dépends, pris peur et la résolution d’arrêter ses conneries loin du danger. Personne pour demander à Prune de renoncer à sa vie, il était parti, aussi stupide qu’égoïste et s’il était sobre aujourd’hui, il avait la fâcheuse impression d’un retour d’acide, là, face à elle. Aussi violent que douloureux, il aimerait recoller les morceaux, effacer le mal, rassurer Prune. Mais on n’efface pas plus d’un an d’incertitude et de tristesse d’un claquement de doigts. Le coeur lourd, ses mâchoires se serrent, regrettant presque instantanément ces surnoms qui lui échappent, aussi inappropriés que traîtres, balançant à la lumière du jour tout ce qu’il peut penser et ressentir pour elle, bien qu’il essaye, tant bien que mal, de ne pas s’immiscer dans son intimité. Si c’est difficile pour lui, il est conscient qu’elle doit être choquée : il veut lui laisser son espace, la rassurer, s’excuser, aussi. Trop de choses qui finalement font qu’il s’enfonce, avant toute chose. Coup de poignard quand la réalité s’occupe de le remettre à sa place : elle ne comprend pas, il a tout risqué. Elle a raison, il le sait. A quel moment a-t-il pu croire que les choses allaient rester inchangées, comme dans ce genre de séries b nulles à chier devant lesquelles son compagnon de chambre s’abrutissait les après-midi où ils avaient quartier libre ? À croire que son cerveau aussi, s’est ramolli devant ces conneries.

Il essaie vainement de se rattraper, mais comment se faire pardonner, quand on a fait l’impardonnable ? Le coeur lourd, c’est tout son corps, pas seulement sa gorge, qui est noué. Il a mal, mais n’en dit rien : il sait qu’il l’a fait souffrir ; c’est presque de bonne guerre. Il hoche la tête, tente de rester digne malgré les larmes qui ruissellent sur ses larmes malgré lui, qu’il tente de cacher en baissant la tête. Il n’insistera pas, ne s’imposera pas ; il s’en est fait la promesse. Lentement il hoche la tête. « ok… D’accord. T’as raison, je suppose. Je … tiens. » il note son numéro sur un vieux ticket de caisse qu’il retrouve au fond de sa poche et lui tend « appelles-moi, si t’en as envie, un jour. N’importe quand. Jour et nuit. Je serai là. » il prend une grande inspiration, recule, maladroit, manquant presque de se casser la figure. Signe de main tout aussi malhabile, il balbutie un « prends soin de toi » à peine audible et disparaît dans la pénombre, comme il était arrivé, le coeur au bord de l’explosion.